Les textes de loi élaborés pour la gestion des domaines en République de Guinée, indiquent clairement que nul n’est propriétaire d’une portion de terre, à l’absence d’un titre foncier.
Cependant, cette exigence de l’État est loin de se matérialiser, car de nombreux guinéens peinent encore à se procurer ce document précieux.
Selon une étude effectuée à cet effet, c’est seulement 2,5% de la population, qui auraient la possibilité d’accéder au titre foncier.
Pour en savoir davantage sur les procédures à suivre pour l’obtention de ce document, un de nos reporters s’est entretenu avec un consultant foncier.
M. Alpha Amadou Barry, vous êtes géomètre-expert agréé et consultant foncier dans certaines institutions nationales et internationales, tout d’abord dites-nous quand on parle de titre foncier, de quoi s’agit-il exactement?
Merci pour l’opportunité que vous m’offrez. Le titre foncier est un document juridique qui est établi par l’administration, mais avec le concours de plusieurs autres acteurs qui sont impliqués, dans l’établissement de ces actes.
Depuis plus de 30 ans, vous évoluez dans la gestion du foncier, est-ce que vous pouvez nous dresser le schéma à suivre pour l’obtention d’un titre foncier?
Il y a des procédures à suivre bien sûr. Il faudrait bien que celui qui veut avoir le titre foncier se dise oui, moi j’ai une portion de terre. Et qu’est-ce qui va prouver qu’il y a un terrain à ce lieu? Il faudrait que nous nous référions d’abord aux dispositions de la loi au niveau de l’article 39 du code foncier et domanial. Le premier alinéa de cet article dit que tout détenteur d’un ancien arrêté, d’un permis d’habiter est reconnu comme propriétaire, deuxièmement, ainsi qu’un ancien titre avant 1992. Le 3ème alinéa dit que toute personne occupant de façon paisible continue, et de bonne foi une portion de terre, cela est prouvé par le paiement de redevance au niveau communal. Alors, celui-là qui a un morceau de terre doit avoir un acte de vente, un acte privé. Il doit avoir un papier qui est rédigé et signé par celui qui lui aurait donné le terrain avec des témoins. Et, ce document-là doit être légalisé par un notaire, ou par un chef de greffe à l’intérieur du pays. Cela doit être fait tout simplement, parce que la loi stipule que toute pièce doit être sous la forme authentique, et la forme authentique est revêtue par un notaire, ou un chef de greffe. Donc, c’est le premier document.
Le concerné va ensuite vers un géomètre-expert agréé qui relève d’une coopération, qui ira identifier le terrain, et mesurer les dimensions. Il va établir un plan de l’immeuble et décrire tout ce qu’il y a sur le terrain. Le géomètre-expert juste après la demande de l’intéressé doit publier au journal officiel ou d’annonce légale ou bien au niveau d’une radio, en tout cas la presse qui a le droit de le faire, la demande de celui-là qui veut établir un titre foncier. Un mois après donc, cette procédure que je venais de décrire tantôt devra être faite. Par après, ce document-là qui a été établi par le géomètre, va être soumis à l’administration (les services du cadastre et de l’aménagement du territoire). Ces deux services ont le temps d’insérer ce travail dans un système d’informations géographiques, pour savoir si un premier demandeur n’a pas requis un titre foncier. Aujourd’hui, avec la technologie, il y a des coordonnées qui, une fois on fait un lever sur le terrain, un autre vient faire la même chose et que les coordonnées se superposent, le dossier est authentiquement rejeté. Donc, ces deux services valident le document qui est signé par le directeur national des domaines et du cadastre, et par le géomètre expert. On joint l’ensemble des documents pour déposer au bureau de la conservation foncière, et celui-là est chargé maintenant d’établir le titre foncier. Ce document est déposé à la conservation foncière avec une provision. La provision a été définie par un arrêté conjoint signé par le ministère de la Ville, et celui de l’Économie et des finances. Là, où on a des barèmes et des taxes. Le concerné doit pouvoir joindre cette provision qui est actuellement de 1,2% de la valeur déclarée de l’intéressé, et aussi une redevance pour les usages (habitation, commercial …). Donc, il y a un représentant du trésor chez lequel on dépose ça. Donc, toutes ces pièces, c’est-à-dire la provision, le dossier du géomètre et le document légalisé par le notaire (l’acte de présomption de droit) seront déposées à la conservation foncière.
A la conservation foncière, il y une entrée, c’est le service de formalités préalables. A ce niveau, on fait le dépouillement du dossier. S’il répond aux critères, il est accepté et traité en conséquence. S’il y a une pièce qui manque, il peut être retourné pour complément de dossier. Il y a aussi un rejet définitif. Si, au niveau des formalités préalables, on constate qu’il y a déjà une opposition, il y a un litige autour du terrain, le conservateur foncier rejette définitivement le dossier, ou bien il le transmet à la justice. Donc, ce service de formalités préalables traite le dossier et le transmet au service des livres et titres fonciers, qui va établir une copie du titre foncier et attribuer un numéro à ce document. Après le document sera soumis au conservateur foncier adjoint, c’est un technicien qui s’occupe de la régularité de la procédure. Il fait un rapport d’acceptation, qu’il transmet au conservateur foncier, ce dernier reçoit le dossier avec la copie unique du titre foncier. C’est une seule copie qui est établie, s’il est convaincu de tous les arguments qui sont là, il signe, puis libère le titre qui sera remis au requérant. Mais, s’il n’est pas convaincu, il a la latitude de rejeter le document, malgré tout ce qui est fait en amont, parce qu’il y a un doute. Voilà schématiquement le circuit.
Mais, il est important de préciser que si le terrain est un domaine à usage agricole, en ce moment-là, le géomètre-expert doit obligatoirement demander au requérant de le fournir des documents établis, par le service en charge du domaine rural. Donc, à ce niveau-là, il y a un procès-verbal du représentant du ministère de l’Agriculture, plus une enquête topo-sociologique qui est établi par le directeur en charge de l’Agriculture de la localité concernée, qui feront partie des documents techniques.
En vous suivant, on a l’impression que l’obtention d’un titre foncier demande assez de temps et de moyens, n’est-ce pas ?
C’est la sommité des actes de propriété sur un morceau de terre. Il faudrait avoir toutes les garanties, avant de faire signer ce document par le conservateur foncier. Donc, la procédure peut atteindre des mois. On peut compter un minimum de 6 mois et un maximum de 24 mois, d’après une étude effectuée par nous, au niveau de la banque mondiale. A chaque étape, il faut dépenser. Quand on dépose aussi le dossier à la conservation foncière, on doit payer les taxes qui sont définies par un arrêté conjoint. Donc, là aussi c’est un autre coût… Je pense que le titre ne coûtera pas moins de 4 millions 500 mille, et peut aller jusqu’à 8 millions ou plus.
Vous en savez beaucoup sur les avantages du titre foncier, mais il se trouve que ce document ne s’obtient pas à la hâte, est-ce que vous avez un message à l’endroit des citoyens, mais aussi des autorités guinéennes à ce propos?
Évidemment! Que les citoyens de ce pays sachent qu’il existe une loi qui consacre la propriété à nous tous, et n’est reconnu propriétaire que le détenteur d’un titre foncier. Donc, il est souhaitable que chacun ait son titre foncier. Il y a beaucoup d’avantages à cela. Quand vous avez le titre foncier, vous pouvez aller à la banque et avoir des prêts, pour le développement de votre entreprise. En cas de décès par exemple, il faudrait bien qu’il ait un acte en famille, ça peut aider dans le partage des biens. Pour que vous puissiez vivre aussi de façon paisible avec l’entourage, il est nécessaire d’avoir un titre foncier.
Je plaide également auprès des décideurs, de pouvoir alléger la tâche aux gens, parce qu’aujourd’hui nous avons appris qu’il n’y a que 2,5% de la population guinéenne, qui ont la possibilité d’accéder au titre foncier, à cause de la lenteur de la procédure, et le coût. Cela est dû au manque de plan foncier, un manque de cadastre. Donc, à tous les niveaux, cela doit exister, ça aurait facilité les travaux des acteurs concernés.
Je vous remercie!
Interview réalisée par mosaïqueguinee.com