La Journée mondiale de la liberté de la presse, adoptée par les Nations unies, est l’occasion chaque 3 mai de se pencher sur les conditions d’exercice de cette profession. Pour les journalistes, témoigner des guerres reste l’un des terrains les plus exigeants et les plus dangereux. L’année 2022 risque d’être, pour eux, particulièrement meurtrière.
« L’Ukraine est l’une des guerres les plus violentes auxquelles les journalistes ont été confrontés ces dernières années, constate Jean-Paul Marthoz, journaliste pour le quotidien belge Le Soir et auteur de plusieurs ouvrages sur la profession, dont En Première ligne : le journalisme au cœur des conflit. Ce sont des armées conventionnelles qui s’affrontent à l’arme lourde, avec des bombardements qui ne discriminent pas les civils, dont les journalistes. » Pire encore, dans cette guerre comme dans d’autres, de nombreux observateurs craignent que les combattants prennent volontairement pour cible des reporters considérés comme « hostiles ».
« C’est dans l’évolution du temps, regrette Jean-Pierre Canet, réalisateur chez SlugNews et membre du collectif Informer n’est pas un délit. Il y a 30 ans, le journaliste occidental était assez respecté. Il était perçu comme un représentant d’une certaine liberté de la presse, garantissant une liberté de témoigner, plus que comme un représentant de son pays. La tendance à embarquer les reporters au sein des forces armées, pour mieux les contrôler, devenue de plus en plus importante depuis la Guerre du Golfe, a fragilisé cela. »
En Ukraine, plusieurs équipes de journalistes ont été directement visées, malgré les indications claires de leur statut sur leurs véhicules. Ailleurs, les professionnels de l’information s’inquiètent de la manière dont les groupes armés, notamment islamistes, cherchent à les capturer, pour les exécuter ou les négocier contre rançons. D’après le suivi de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), 50 journalistes et collaborateurs de médias ont été tués dans le cadre de leur métier en 2021. L’année 2022 devrait être, au regard des bilans humains des premiers mois, beaucoup plus meurtrière.
Pas de limites au front
Pour beaucoup de ces journalistes, notamment les locaux, la guerre ne s’arrête pas en s’éloignant des zones de combat. « Dans les régimes autoritaires, pour les journalistes indépendants, il n’y a pas vraiment de distinction entre le temps normal et le temps de la guerre, remarque Jean-Pierre Canet. Quand Anna Politkovskaïa est assassinée, elle n’est pas sur la ligne de front. » C’est à Moscou que cette figure du journal russe indépendant Novaïa Gazeta est assassinée en 2006. Aujourd’hui, ceux de ses confrères qui voudraient documenter l’invasion de l’Ukraine par leur pays craignent pour leur sécurité.
La guerre peut prendre des formes bien différentes. L’un des champs de bataille les plus meurtriers au monde pour la presse reste le Mexique. En 2021, c’est dans ce pays, juste devant l’Afghanistan, que le plus grand nombre de professionnels a été assassiné. Les balles des cartels tuent autant que celles des terroristes, poursuivant les journalistes jusqu’à leurs domiciles.
Les démocraties ne sont pas non plus totalement à l’abri, notamment lorsqu’il s’agit de questionner les liens qui les lient aux zones de guerre. Plus que physiques, les pressions y sont morales et surtout, judiciaires. « En France, sur les ventes d’armes, on ne peut presque pas poser de questions », regrette Jean-Pierre Canet, co-auteur de plusieurs enquêtes sur ce thème. La Plateforme pour la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe évoque de son côté la problématique des demandeurs d’asile, la Pologne, la France, la Lettonie et la Lituanie étant citées comme ayant imposé des restrictions abusives sur l’accès de la presse aux réfugiés.
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« Il y a une lutte permanente entre la presse et les autorités des pays, même de ceux qui ont une tradition de liberté, analyse Jean-Paul Marthoz. La liberté de la presse ne doit pas relever du bon vouloir des dirigeants et doit être protégée par des institutions fortes, les parlements, la justice et par les journalistes eux-mêmes. »
Devoir de rigueur
Dans une zone de guerre, un journaliste peut enfin être tenté d’être moins rigoureux. La détresse et l’horreur peuvent pousser à aller trop vite. « La peur de mourir, de ne pas réussir à ramener ce qu’il faut, c’est un cocktail qui peut faire perdre ses moyens, confirme Jean-Pierre Canet, vétéran de plusieurs conflits. Mais les règles du journalisme restent les mêmes : recouper les faits et chercher deux à trois sources indépendantes pour recouper les faits. »
Difficile au milieu des combats. Les zones d’ombres sont d’autant plus nombreuses que certaines parties au conflit peuvent interdire tout accès aux territoires qu’elles contrôlent. Il faut alors savoir l’expliquer au public. Les médias sont de plus en plus nombreux à faire ce travail de transparence pour raconter les limites et les contraintes de leur production.
Face à la radicalité des situations vécues, les journalistes peuvent enfin avoir envie de s’engager plus personnellement, en faveur d’un côté dont ils seraient convaincus de la légitimité, ou des victimes en général. « La démarche d’impartialité s’applique dans la recherche des faits, mais les journalistes peuvent ne pas être neutres, estime Jean-Paul Marthoz. Ils doivent cependant toujours être responsables : s’ils apprennent par exemple que les troupes du camp dont ils se sentent plus proches ont commis des atrocités, ils doivent le raconter. »