La conférence sur les océans clôturée avec la déclaration de Lisbonne adoptée par consensus

 

Plus fragiles que jamais, les océans étaient au centre d’une conférence onusienne à Lisbonne qui s’est achevée ce vendredi 1er juillet. Une occasion d’entretenir une dynamique alors que plusieurs échéances décisives auront lieu d’ici à la fin de l’année.

« Nous faisons face à un état d’urgence des océans. » C’est par ces mots qu’Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a ouvert la conférence qui leur était consacrée. Après New York en 2017, ce n’est que la deuxième fois que les océans, qui recouvrent pourtant 71% de la superficie du globe, sont au centre d’un événement dédié.

Autre signe du relatif désintérêt qui leur était jusqu’à alors accordé, l’Objectif onusien de développement durable 14 (ODD-14) qui leur est consacré est l’un des moins financés parmi les 17 cibles fixées par les Nations unies pour 2030. « À l’époque de leur mise en place, j’étais l’un des ambassadeurs à pousser pour la mise en place de l’ODD-14 », se souvient Peter Thomson, envoyé spécial de l’ONU pour les océans. « Ce n’était pas du goût de tout le monde d’avoir un objectif de développement durable dédié aux océans et à leurs problèmes. Si vous prenez les dix plus grands pays du monde, près de la moitié n’en voulaient pas. Ils ne voyaient pas l’intérêt. »

Pourtant, l’océan va mal. Il se réchauffe, s’acidifie, sa biodiversité décline et le niveau des eaux monte. Ce n’est cependant que la réalisation progressive de son rôle dans la régulation du climat qui a permis à beaucoup de se rendre compte qu’il méritait qu’on lui accorde du temps. Les océans captent en effet un quart du CO2 émis, plus de 90% de l’excès de chaleur et produisent la moitié de l’oxygène de la planète. La machine est toutefois en train de se dérégler et faute d’action, les conséquences seront terribles pour des milliards d’êtres humains.

Les choses évoluent donc : « Il y a désormais un consensus très large sur le fait que l’océan est très en danger, qu’il nous est indispensable, et qu’il faut donc vite le protéger », explique Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur français des pôles et des enjeux maritimes.

Mise en place des feuilles de route

C’est ainsi que des milliers de personnes se sont rendues à Lisbonne pour cette conférence organisée conjointement par le Portugal et le Kenya. Au programme, pas de traité contraignant, mais des discussions et des tractations pour avancer sur les négociations en cours, nombreuses. « Des choses se mettent en place », détaille Peter Thomson. « Il y a eu la conférence de Nairobi au début d’année, et un traité contre la pollution plastique est en préparation. Après vingt ans de négociations, le conseil ministériel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a enfin décidé d’interdire les subventions à la pêche non durable. »

Le diplomate estime ainsi que la machine est lancée et qu’il convient désormais d’entretenir la dynamique, le « momentum » en langage onusien : « À Lisbonne, nous mettons en place les feuilles de route et les financements qui vont avec. Cela va servir au mois d’août à New York pour la négociation sur un traité de la haute mer. Cela lancera la COP27 de novembre à Charm-el-Cheikh. Enfin, ce sera utile pour la COP15 consacrée à la biodiversité, à Montréal en décembre. »

L’ambition de créer un droit de la haute mer

De multiples textes, touchant en effet à des sujets aussi divers que la pollution plastique, la biodiversité, la pêche ou la conservation des aires marines, sont en cours de négociation ou de rédaction. Il y a notamment la « Coalition pour la haute ambition » qui a été lancée conjointement par la France et le Costa Rica lors du One Planet Summit en janvier 2021. À cette date, 102 états l’ont rejointe, promettant de protéger 30% de leurs aires marines et terrestres d’ici à 2030.

Parmi les plus importants, figure également celui ambitionnant de créer un droit de la haute mer. Ces zones internationales ne sont régulées que par la convention de Montego Bay, signée en 1982, et celle-ci ne concerne que la surface mais ni les fonds marins, ni la colonne d’eau. Pour les Nations unies, il est donc essentiel de se doter d’outils réglementaires contraignants, car aucune règle ne s’applique aujourd’hui. C’est l’objet de ce traité, surnommé BBNJ. Si les discussions sur un tel sujet sont éminemment complexes, elles avancent, estime Olivier Poivre d’Arvor, confiant sur la possibilité de trouver un consensus sur le sujet.

Il existe cependant le risque que cet accord se fasse a minima : « Il s’agit d’un traité qui concerne la biodiversité sur la moitié de notre planète, et il ne parle même pas de la pêche ! », s’étrangle Guillermo Antonion Crespo, chercheur au Stockholm Resilience Center, et qui intervient en tant qu’expert dans les discussions sur BBNJ. « C’est pourtant l’une des, si ce n’est la principale, causes de la perte de biodiversité. Nous sommes donc loin du compte. »

L’état préoccupant des océans reconnu par les 193 États membres des Nations unies

Et c’est toute la difficulté de ces négociations qui portent sur des territoires internationaux, n’appartenant à aucun pays : « Le monde de l’océan ne trouve ses règles que depuis 40 ans avec Montego Bay », avance Olivier Poivre d’Arvor. « Tous les sujets, la décarbonation, le plastique, la pêche, cela demande des règlements, et c’est un peu long, oui. Il faut des leaders. »

Les leaders, justement, se sont réunis pour la dernière fois à Lisbonne ce vendredi pour adopter formellement la déclaration conjointe à l’issue de la dernière séance plénière. À l’appel du président Marcelo Rebelo de Sousa, aucune objection, la « déclaration de Lisbonne » est adoptée par consensus. Le texte n’est pas contraignant, il affirme la reconnaissance des 193 États membres des Nations unies de l’état préoccupant des océans et de leur volonté de s’attacher urgemment à les résoudre. Les États affirment également « regretter profondément leur échec collectif » qui a mené à cette situation.

L’exploitation minière des fonds marins : un sujet délicat

Si le champ des sujets évoqués par cette conférence et cette déclaration est large, d’autres émergent et vont également susciter de longues et difficiles négociations. Parmi ceux-ci, l’exploitation minière des fonds marins est l’un des plus sensibles. Encore inenvisageable il y a quelques années, elle devient techniquement envisageable et les ressources du fond de la mer attisent les convoitises. Cobalt, cuivre, manganèse, beaucoup y voient une opportunité, d’autant plus qu’il s’agit de ressources présentées comme utiles à la transition énergétique, notamment pour la construction de batteries.

Si les fonds marins sont encore préservés, ces appétits inquiètent par les dommages qu’ils pourraient causer : « Si l’industrie continue, cela aura des effets néfastes sur le stockage du carbone, la sécurité alimentaire et même la survie de nos communautés », déclarait au premier jour de la conférence de Lisbonne Surrangel Whipps bien que le sujet ne figure pas au programme officiel. Le président des îles Palaos lançait alors, avec d’autres pays insulaires du Pacifique, une alliance pour réclamer un moratoire sur ces pratiques. À la tribune, il alertait ainsi : « Vous savez, il y a quelques années, l’urgence était d’interdire le chalutage en eau profonde. Comment est-ce donc possible en étant sain d’esprit d’imaginer aller y miner ? Sans même en comprendre les conséquences ? »

En effet, ces pratiques peuvent potentiellement grandement perturber les écosystèmes marins : vibrations, lumière, bruit, rejets, autant de risques qui sont encore très mal étudiés. Pourtant, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a reçu l’an dernier quatre demandes de permis, qu’elle doit examiner d’ici à l’été 2023, faute de quoi l’accord sera tacite. Il est difficile aujourd’hui d’avoir connaissance de la teneur des discussions qui s’y tiennent, mais la demande de moratoire lancée par Surrangel Whipps n’a pas eu un effet d’entraînement, et de nombreux pays préfèrent ne pas se couper définitivement de cette potentielle source de richesses.

Une visite remarquée du président français

Emmanuel Macron a cependant surpris son monde lors de son passage à Lisbonne. Le président français est en effet l’un des rares à s’être déplacé et à prononcer un discours à la tribune. Mais c’est au cours d’un événement annexe, dans une discussion informelle, qu’il a déclaré penser qu’il fallait « élaborer un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer et ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettraient en danger les écosystèmes ».

Une déclaration qu’il n’avait visiblement pas prévue, mais probablement suscitée par sa discussion avec Sylvia Earle, légende vivante de l’océanographie. L’ancienne directrice scientifique de la NOAA, l’autorité américaine sur l’atmosphère et les océans, est une farouche opposante à l’exploitation minière des fonds marins. Sur ce sujet, la discussion ne fait donc que commencer.

Décarbonation du transport aérien et maritime, développement des voitures « zéro émission », renforcement du marché du carbone, accompagnement pour les ménages, lutte contre la déforestation importée : notre mobilisation ne doit pas fléchir un seul instant.

D’autres échéances approchent à grands pas

Pour les autres, les échéances approchent : en août à New York pour le traité sur la haute mer ; en novembre à Charm-el-Cheikh pour la COP27 sur le climat ; et enfin en décembre à Montréal pour la COP15 biodiversité. Pour celle-ci, l’ambition est notamment de faire adopter aux 193 pays membres de l’ONU le principe de la « haute ambition » en préservant 30% de leurs territoires terrestres et maritimes d’ici à 2030.

En 2024, c’est le traité d’interdiction des plastiques à usage unique, dont le principe a été acquis à Nairobi ce printemps, qui doit être présenté.

Enfin, en 2025, la France s’est proposée de co-organiser avec le Costa Rica la prochaine conférence onusienne sur les océans. Un rendez-vous que Paris entend aussi fondateur que la COP21 sur le climat il y a dix ans : « Nous devons y fixer des objectifs aussi ambitieux pour la biodiversité et singulièrement les océans », déclarait Emmanuel Macron à la tribune de Lisbonne