Crise climatique: la géo-ingénierie, un créneau d’innovation qui suscite la controverse

S’attaquer aux effets du réchauffement climatique plutôt qu’aux causes, c’est la raison d’être de la géo-ingénierie. Un créneau sur lequel se sont lancés plusieurs start-up. Mais tenter de modifier le climat, artificiellement, n’est pas sans conséquences.

En février dernier, la startup américaine, Make Sunsets, commence une expérimentation un peu spéciale. Luke Iseman et son comparse Andrew Song, les deux cofondateurs de la startup, sont dans le Nevada et ils comptent envoyer dans l’atmosphère des ballons remplis de dioxyde de soufre. Ils comptent mettre en pratique une idée : refléter les rayons solaires pour amoindrir l’effet de serre et ralentir le réchauffement climatique, en réduisant la quantité de rayonnement solaire reçue par la terre et l’atmosphère. Et pour ce faire, ils veulent créer une sorte d’écran réfléchissant dans l’atmosphère, une « crème solaire pour la terre » aiment-ils dire.

Cette technique s’appelle l’ingénierie climatique ou géo-ingénierie. Les deux jeunes hommes se fondent sur des études sérieuses qui prouvent que lorsque l’éruption du mont Pinatubo, aux Philippines, en 1991, a libéré des milliers de tonnes de dioxyde de soufre dans la stratosphère, la température globale de la terre a alors baissé en moyenne d’environ 0,5°C pendant 2 ans*.

Les deux inventeurs, plutôt que de se faire approvisionner en dioxyde de soufre, vont le générer seul, grâce à un tutoriel vu sur YouTube. Avec un simple barbecue, ils brûlent un fongicide à base de soufre et capturent la fumée émise dans des sacs-poubelles, ensuite ce gaz et mélangé à de l’hélium pour gonfler un ballon.

La première étape de l’expérience fonctionne, trois ballons et du matériel d’analyse s’envolent. Même si la start-up n’a pas encore publié les résultats de son expérimentation, elle a déjà gagné 750 000 dollars d’investissement, et propose, contre 10 dollars, d’envoyer 1 gramme de dioxyde de soufre dans la stratosphère, ce qui, selon Make Sunsets, équivaudrait à annuler une tonne d’émission de CO2 sur une année.

« Un des pires scénarios possibles »

Mais pour Peter Frumhoff, enseignant en sciences environnementales à Harvard, « l’ingénierie climatique est un des pires scénarios possibles pour lutter contre la crise climatique ». Peter Frumhoff est aussi un des experts du GIEC, il est aux premières loges des analyses des changements climatiques et des mesures proposées pour éviter le pire.

Car le dioxyde de soufre peut être mortel. Il peut aussi avoir des effets secondaires dans l’atmosphère, notamment générer des pluies acides, mais aussi créer des changements climatiques locaux. « C’est néanmoins un scénario qu’il faut prendre au sérieux, expérimenter et encadrer, poursuit-il. Ce ne sera pas à utiliser de façon pérenne, mais cela pourrait nous permettre de gagner du temps » en attendant de mettre en place des vraies solutions. D’ailleurs, en octobre dernier, la Maison Blanche a lancé un plan de recherche sur cinq ans pour, justement, étudier les manières de modifier les quantités de lumières reçues par la Terre pour atténuer les effets du changement climatique.

L’utilisation de dioxyde de soufre donc, mais aussi lâcher des particules d’aérosol dans la stratosphère pour créer un effet miroir, ou injecter du sodium dans l’atmosphère pour permettre aux nuages de mieux refléter le rayonnement solaire, deux autres idées au sein de l’ingénierie climatique. L’idée d’utiliser cette technique** reste toutefois très controversée. Une étude de scientifiques de Harvard, menée en Suède, a ainsi été annulée en 2021 à la suite de l’opposition des écologistes et des communautés locales.

Un coût plus grand que les bénéfices

Make Sunsets aussi a fait des remous, quand Luke Iseman a fait voler son premier test mi-janvier, depuis chez lui en Californie. Le ballon porté par les vents a survolé le Mexique, le pays où la startup envisageait de poursuivre ses expérimentations, mais qui n’a pas apprécié et a interdit le survol de leur territoire. Pour Peter Frumhoff, l’approche de Make Sunsets est beaucoup trop sauvage : « Vu la problématique environnementale et éthique, il faut associer les gouvernements et les communautés locales qui peuvent être affectées par les conséquences de ces tests. »

Car il ne faut pas oublier que c’est la lumière du soleil permet à la végétation de pousser – la fameuse photosynthèse – et à la vie de se développer. De ce fait, le mal généré par l’ingénierie climatique pourrait être plus important que les bénéfices, et c’est la raison pour laquelle cette technique a été mis de côté pendant des décennies – alors qu’elle existe depuis les années 1960.

D’autant plus qu’aujourd’hui, scientifiques et gouvernements craignent que si les résultats sont concluants, de nombreux pays et entreprises vont refuser de réduire les émissions puisqu’il suffirait d’injecter des milliards de tonnes de dioxyde de soufre dans le ciel pour compenser. Au risque de vivre entouré d’un nuage de soufre. Sans compter que certains États ou organisations pourraient utiliser l’ingénierie climatique comme une arme pour modifier le climat.