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Sénégal: baisse progressive des tensions, internet suspendu sur certaines plages horaires

Au Sénégal ce dimanche soir 4 juin, internet est suspendu sur les téléphones sur certaines plages horaires, annonce le ministère de la Communication. Les réseaux sociaux étaient déjà coupés. Le pouvoir justifie cette décision par la diffusion de message haineux dans ce contexte très tendu depuis jeudi et la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison. Seize personnes sont mortes, selon le ministère de l’Intérieur. À Dakar, un calme précaire semble revenu et on en sait désormais plus sur le bilan des affrontements de ces derniers jours.

Seize morts en trois jours selon le gouvernement, avec un nouveau décès enregistré samedi. Le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko, parle lui de 19 morts.

Beaucoup de blessés aussi dans ces violents affrontements, près de 400 selon la Croix rouge sénégalaise, dont une femme enceinte et 36 éléments des forces de défense et de sécurité. Des blessés qui ont été évacués vers les hôpitaux.

De nombreux bâtiments et commerces ont été détruits à Dakar, mais aussi à Ziguinchor, ville du sud du pays dont Ousmane Sonko est maire. L’Alliance française a été incendiée et vandalisée, le centre culturel régional vandalisé, tout comme le lycée Djiganbo et d’autres établissements scolaires.

Le silence du président Macky Sall…

Aujourd’hui, comme hier, les tensions semblent redescendre d’un cran. À Dakar, les habitants ont pu circuler relativement tranquillement, mais le Pastef appelle à continuer la mobilisation jusqu’à la démission du président Macky Sall.

Plus de 500 personnes ont été interpellées depuis le début des manifestations jeudi selon le ministère de l’Intérieur. Un bilan important, mais justifié selon la police nationale. Les avocats sont surchargés et la société civile dénonce des abus.

Maître Abdy Nar Ndiaye défend plusieurs personnes interpellées ces derniers jours. Parmi eux, Pape Abdoulaye Touré, militant du Pastef. Les profils de ses nouveaux clients sont très variés, mais les chefs d’accusation sont similaires. « Ce sont des jeunes, des adultes ou même des vieilles personnes. On leur reproche de participer à des manifestations non autorisées et de troubles à l’ordre public. D’autres ont été interpellées alors qu’ils voyageaient », explique l’avocat.

Les avocats sénégalais sont submergés de travail pour défendre ces centaines de personnes, éparpillées dans plusieurs unités d’enquête à Dakar et dans les autres villes du pays.

La Ligue sénégalaise des droits de l’homme dénonce déjà des violations de droits humains. Il y a eu selon elle une brutalité excessive lors des interpellations et des gardes à vue. « C’est vrai que les manifestations ont beaucoup débordé, mais ça ne donne pas un feu vert pour commettre des exactions que l’on est en train de documenter et que l’on ne va pas laisser prospérer comme ça. Ce que l’on a vu ces derniers temps, c’est désolant. »

Le directeur de la sécurité publique Ibrahim Diop a affirmé dimanche soir que les interpellés étaient armées de cocktails Molotov, d’armes blanches et d’armes de guerre. Les gardes à vue dureront 48h, renouvelable une fois.

Dans ce contexte, le ministère de la Communication a annoncé cet après-midi suspendre les données mobiles sur tout le territoire sur certaines plages horaires, sans préciser lesquelles. Il met en cause « la diffusion de messages subversifs et haineux dans un contexte de troubles à l’ordre public ». Jusqu’à présent, seuls les réseaux sociaux et les applications de messagerie comme WhatsApp étaient bloqués.

Et de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer le silence du président Macky Sall. Le maire de Thiès, Babacar Diop, lui demande de s’exprimer pour appeler au calme et à la responsabilité, et de suspendre le dialogue national qui a commencé mercredi.

>> À lire aussi :Saliou Sarr: «Pour sortir le Sénégal de cette violence, il faut aller au dialogue»

Sortir de l’impasse politique

« C’était prévisible », estime Elimane Haby Kane, interrogée par notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac, « les signes avant-coureurs étaient là depuis longtemps ». Pour le président du groupe de réflexion Legs Africa, « la lame de fond, c’est la problématique de la prise en charge de la jeunesse, laissée en rade » dit-il. Ces moins de 35 ans qui représentent les trois-quarts de la population. « La colère sociale se cristallise autour de la personne d’Ousmane Sonko, le leader politique le plus virulent contre le pouvoir », d’autant que l’opposant a depuis le début choisi une « réponse politique » au conflit qui l’opposait à son accusatrice Adji Sarr.

Cette crise, « c’est un cocktail de facteurs dans un contexte de difficultés économiques et sociales et de frustrations » renchérit Jean-Charles Biagui, enseignant-chercheur en sciences politiques. Pour lui, la condamnation d’Ousmane Sonko est un élément « déclencheur », et les émeutes meurtrières de mars 2021 étaient « un avertissement ».

Alors maintenant ? Face au bras de fer qui se durcit, la marge de manœuvre du pouvoir semble étroite. « D’un côté, les autorités jouent leur crédibilité si elles n’appliquent pas une décision de justice », et de l’autre « arrêter Ousmane Sonko dans ce contexte inflammable serait un risque politique énorme » résume l’enseignant-chercheur Jean-Charles Biagui pour qui le chef de l’État est « dos au mur ». Seule solution selon lui : que le président Macky Sall sorte de son silence, en « annonçant clairement qu’il ne présentera pas pour un troisième mandat », et en prenant des mesures concrètes, comme « la libération des détenus politiques ».

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Cette question d’une éventuelle nouvelle candidature pour la présidentielle prévue en février 2024 doit effectivement être tranchée pour Elimane Haby Kane. « Il ne s’agit pas de revenir sur la décision de la justice », estime-t-il, mais « de revoir par exemple le code électoral et les conditions d’éligibilité » pour permettre à Ousmane Sonko de se présenter. Le président de Legs Africa interpelle aussi le leader du parti Pastef, qui doit selon lui « sortir de sa posture radicale » : « Les deux principaux protagonistes doivent faire des gestes d’apaisement et appeler au calme ». Sinon, « on peut craindre le pire », « le pays risque d’être ingouvernable », avec une « stratégie de guérilla sur la durée ».

Le Sénégal a une longue tradition de concertations, avec des médiations religieuses ou de la société civile pour faire face aux situations critiques. Elimane Haby Kane veut encore croire au dialogue. Pour lui « le peuple montre souvent plus de maturité que les acteurs politiques ».


■ La société civile ouest-africaine déplore les violences 

Le Forum de la société civile de l’Afrique de l’Ouest (Forcao), basé à Abuja, appelle les forces politiques sénégalaises à un dialogue pacifique incluant le parti de l’opposant. Cette organisation ouest-africaine de citoyens demande aussi avec insistance que la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (Cédéao) s’implique dans cette crise, via son outil de diplomatie préventive.

 

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