I. ASPECTS CONCEPTUELS
Le terme corruption est de lourd connotation morale. Il s’agit du substantif du verbe « corrompre » procédant du latin corrumpere (étymologiquement, cum-rumpere : briser, rompre un ensemble) dont le sens le plus ancien revêtait déjà au XIe siècle la dimension métaphorique de perversion, corruption de l’âme.
Le mot ne se rapproche de sa signification contemporaine qu’en 1283, au sens d’« entraîner par des promesses, des dons, une personne chargée de responsabilités à agir contre son devoir » . (ALT Eric, LUC Irène, La lutte contre la corruption. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1997, p. 3). La « plupart des auteurs ont étudié la « corruption des régimes » et non « la corruption dans les régimes » mais les deux phénomènes sont liés, si l’on en croit Montesquieu, pour lequel le principe de la République est précisément la vertu.
La science politique américaine a fourni dans les années 1970 des outils conceptuels nécessaires à l’étude de la corruption. Il a été relevé que la corruption suppose tout d’abord la distinction de la sphère publique de la sphère privée. Elle est ainsi définie par HEIDENHEIMER comme « la poursuite d’un intérêt privé au détriment d’un intérêt public » . Elle met en scène trois acteurs « un mandant, un mandataire (le corrompu) et une tierce personne (le corrupteur) dont les gains et les pertes dépendent du mandataire.
Cet auteur distingue deux types de corruptions :
1. Le premier est la CORRUPTION-TROC (market corruption) où les termes de l’échange sont clairement définis (octroi d’une autorisation administrative moyennant un pot de vin). Ce genre de corruption est généralement sanctionné par le droit pénal.
2. Le second est, quant à lui, la CORRUPTION-ECHANGE SOCIAL (parochial corruption) où les termes de l’échange sont imprécis aussi bien dans leur consistance que dans leur modalité d’exécution. Elle est censée instaurer un lien social dont on attend les bénéfices futurs, un renvoi d’ascenseur ; elle est beaucoup plus difficile à saisir . (HEIDENHEIMER, Readings in Comparative Analysis on political corruption, New York, Holt, Rinehart & Winston Inc., 1970, p. 3).
Dans le même sens (de la classification), d’autres auteurs ont distingué trois types de corruptions :
1. La CORRUPTION BLANCHE ;
2. la CORRUPTION GRISE et
3. la CORRUPTION NOIRE, en fonction de la réprobation plus ou moins forte attachée à l’opinion publique aux pratiques de corruption.
Tandis que la corruption blanche est considérée comme tolérée par l’ensemble de la population, la corruption grise est condamnée par l’opinion publique mais tolérée par les milieux dirigeants (pratiques illégales de financement de partis politiques). Quant à la corruption noire, elle correspond aux pratiques les plus graves et condamnées par le droit pénal.
II. THÉORIES DE LÉGITIMATION DE LA CORRUPTION
• DES ARGUMENTS AU SOUTIEN DE LA CORRUPTION
Dans les années 1960-70, certaines théories de légitimation de la corruption naquirent aux Etats-Unis. Les représentants de ces théories fonctionnalistes ou libérales comme Merton, Huntington et Tilman développaient un ensemble d’arguments :
1. L’aspect moral et éthique de la corruption est, pour eux, secondaire car la corruption est naturelle à l’homme.
2. La corruption se développe dans les sociétés en mutation. Elle est le produit inévitable du processus de modernisation, dont elle facilite le développement.
3. Elle met de l’huile dans les rouages et joue un rôle d’intégration sociale en permettant aux exclus de profiter du système ; elle évite ainsi les révolutions brutales. Les tenants de cette doctrine de légitimation prévoyaient la disparition de la corruption lorsque le processus de développement sera terminé.
• DES ARGUMENTS CONTESTÉS
1) L’inefficacité de la plupart des formes de corruption : la corruption crée des incitations à adopter des comportements non productifs (ex. des entreprises candidates à des marchés publics investissent pour acheter le décideur politique et non pour améliorer la qualité de leur produit).
Nul besoin de relever que chez nous, si les « entrepreneurs » sont devenus de grands propagandistes politiques (avec des attaches conjoncturelles) depuis bientôt 20 ans, c’est parce qu’ils se disent, et ils en sont convaincus, que non seulement ils auront illégalement un accès assuré aux marchés même pour des travaux qu’ils ne savent pas du tout faire (routes bitumées de 8 mois, ex.) mais ils ne feront face à aucune sanction et, au surplus, ils continueront à les avoir (ces marchés).
2) Au fait que la corruption est un élément de conservatisme, de préservation des situations acquises : « elle privilégie la situation individuelle au détriment de l’intérêt collectif . (ALT Eric, LUC Irène, La lutte contre la corruption. Op. cit., p. 5).
Quelles que soient, en définitive, les raisons avancées, la corruption demeure pour l’essentiel nuisible.
Jean Paul KOTÈMBÈDOUNO
Docteur en droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.