La capacité de créer des gamètes in vitro, à partir de cellules souches ou de cellules de peau génétiquement reprogrammées, est considérée comme le « Saint Graal » de la recherche sur la fertilité. Cela permettrait de disposer de davantage d’ovules et de spermatozoïdes pour la recherche, mais aussi de gommer quasiment toutes les limites en termes de conception. Pour l’Human Fertilisation & Embryology Authority, le régulateur britannique de l’usage et du stockage des gamètes, cette capacité est aujourd’hui à portée de main.

La toute première fécondation in vitro (FIV) remonte à bientôt 50 ans. Le premier « bébé-éprouvette » est né en 1978, à l’hôpital d’Oldham, au Royaume-Uni. La technique permet de pallier l’infertilité féminine et/ou masculine (insuffisance ovarienne, anomalies des trompes de Fallope, faible quantité ou qualité des spermatozoïdes, etc.). En France, elle est accessible aux couples lesbiens et aux femmes seules depuis 2021. Dans tous les cas, les ovules et spermatozoïdes proviennent des futurs parents ou d’un tiers.

Cela fait longtemps que les scientifiques songent à aller encore plus loin, à savoir produire les gamètes directement en laboratoire. Ceci permettrait d’accroître considérablement la disponibilité des gamètes utilisables pour la recherche sur la fertilité et l’embryogenèse. Comme le souligne un article du Guardian, cette approche promet également de supprimer les barrières liées à l’âge. Enfin, elle permettrait à des couples de même sexe d’avoir des enfants biologiques ensemble. Elle pourrait être viable d’ici une décennie, ce qui implique de réfléchir dès maintenant au cadre législatif de cette pratique.

La gamétogenèse in vitro, futur traitement de l’infertilité ?

L’idée de créer des cellules germinales primordiales (CGP) in vitro a pris son envol avec la découverte, en 2006, des cellules souches pluripotentes induites (CSPi). Les CGP apparaissent au cours des premières semaines de la croissance embryonnaire et se spécifient en spermatozoïdes ou en ovules.

En 2012, une équipe japonaise a pu obtenir chez la souris des CGP à partir de CSPi. Injectées dans des testicules ou des ovaires de souris, elles évoluaient en spermatozoïdes ou en ovules, produisant une descendance saine. La production artificielle de spermatozoïdes et d’ovules à partir de CSPi humaines paraissait dès lors à portée de main.

En 2014, des chercheurs de l’Université de Cambridge et de l’Institut Weizmann ont produit pour la première fois des CGP à partir de cellules souches embryonnaires naïves et de cellules de peau « reprogrammées ». L’équipe avait découvert qu’un gène (SOX17) est essentiel pour diriger les cellules souches humaines vers la transformation en CGP. Jusqu’à 40% des cellules utilisées sont devenues des CGP.

Plus récemment, le biologiste Katsuhiko Hayashi, de l’Université d’Osaka, et son équipe ont transformé une cellule souche d’une souris mâle adulte en ovule. Ils ont ainsi créé des souris ayant deux parents biologiques mâles. Là encore, les gamètes (spermatozoïdes et ovules) provenaient d’une production in vitro à partir de CSPi. Ces travaux peuvent aider à traiter l’infertilité causée par des troubles chromosomiques. Ils laissent aussi entrevoir la possibilité d’une reproduction bipaternelle.

Si la production de bébés souris à partir de gamètes « artificiels » est possible, l’équivalent humain n’existe pas encore. Mais la recherche dans ce domaine progresse rapidement. On s’attend à ce qu’il soit possible de fabriquer des spermatozoïdes et des ovules humains en laboratoire d’ici 10 ans au plus tard. « Des start-up américaines telles que Conception et Gameto affirment être sur le point d’y parvenir », précise le Guardian.

« Changer la vie de millions d’êtres humains »

Donner aux familles la possibilité d’avoir des enfants à un âge beaucoup plus avancé, éliminer les obstacles pour les couples souffrant d’infertilité et permettre à tout le monde d’avoir des enfants biologiques, c’est l’objectif de Conception.

La start-up tente de reproduire en laboratoire le processus par lequel les ovules se développent dans le corps féminin. Ils génèrent des CSPi à partir de cellules sanguines, puis guident leur développement pour qu’elles deviennent des ovules viables. « C’est vraiment passionnant de travailler sur une technologie qui peut changer la vie de millions d’êtres humains », a déclaré à NPR Pablo Hurtado, directeur scientifique de l’entreprise.

Cette technologie pourrait aider les femmes qui ont perdu leurs ovules à cause d’un traitement contre le cancer, celles qui n’ont jamais pu produire d’ovules sains et celles dont les ovules ne sont plus viables en raison de leur âge.

De plus, les couples de même sexe pourraient avoir des enfants biologiques ensemble. Concrètement, il serait possible de créer des ovules à partir des cellules d’un homme, fécondés ensuite par le sperme du partenaire. L’enfant, porté par une mère porteuse, serait ainsi lié génétiquement aux deux hommes. De même, on pourrait créer des spermatozoïdes à partir des cellules d’une femme dans le cas de couples lesbiens.

De nombreux autres laboratoires dans le monde poursuivent le même objectif. Au cours d’une récente réunion, l’Human Fertilisation & Embryology Authority (HFEA) a estimé qu’il pourrait être atteint d’ici deux à trois ans au plus tôt, mais plus vraisemblablement dans une décennie.

Science et vie.com