2019 : Des progrès dans le traitement des maladies génétiques

Une nouvelle méthode permettant de modifier des gènes dans des cellules vivantes a fait ses preuves dans le traitement de plusieurs maladies rares, comme la drépanocytose. Mais cette révolution est encore expérimentale.

L’été dernier à Nashville, une mère de famille américaine a fait modifier son génome et a cessé de souffrir. « Depuis mes 11 ans, j’espérais une guérison », écrit Victoria Gray, 34 ans, à l’AFP. « Depuis que j’ai reçu les nouvelles cellules, j’ai retrouvé le plaisir de passer du temps en famille sans vivre dans la crainte de douleurs ou d’une urgence ».

Victoria a une maladie génétique du sang, la drépanocytose, qui provoque d’atroces douleurs. Elle a participé à un traitement expérimental. Sur plusieurs semaines, on lui a prélevé son sang, avant d’en extraire les cellules à l’origine de sa maladie : les cellules-souches qui logent dans la moelle osseuse et fabriquent les globules rouges ; des globules qui sont déformés chez Victoria, provoquant les crises.

Ces cellules-souches ont été expédiées dans un laboratoire écossais, où leur ADN a été modifié grâce à un nouvel outil appelé Crispr/Cas9 (prononcer: « crispeur »), et surnommé ciseaux moléculaires. Puis, on lui a retransfusé les cellules modifiées génétiquement… qui sont retournées au bercail, dans la moelle osseuse. « Miracle », dit Victoria : au bout d’un mois, celle-ci produisait des globules normaux.

On ignore si la réparation durera. Mais en théorie, elle est guérie pour la vie. « Il s’agit d’une seule patiente, c’est encore tôt », dit son médecin, Haydar Frangoul, du centre anticancéreux Sarah Cannon, à Nashville. « Mais ces résultats sont formidables ».

Modifier l’ADN du vivant

En Allemagne, une femme de 19 ans a été soignée avec la même méthode pour une autre maladie du sang, la bêta-thalassémie. Elle avait auparavant besoin de 16 transfusions sanguines annuelles. Neuf mois après, elle en était libérée.

On modifie l’ADN du vivant depuis des décennies, comme le maïs ou le saumon OGM en témoignent. Y compris pour les humains dans des essais thérapeutiques pour ces mêmes maladies du sang et d’autres, avec des techniques plus anciennes.

Mais Crispr, inventé en 2012, a démocratisé la pratique car il est plus simple que les technologies précédentes, moins cher, et utilisable dans de petits laboratoires. Et c’est parce qu’il est facile d’emploi qu’il a relancé les fantasmes sur la manipulation du vivant. « Tout va très vite », dit à l’AFP la codécouvreuse de Crispr, la généticienne français Emmanuelle Charpentier, cofondatrice de Crispr Therapeutics, la société qui réalise ce premier essai clinique.

Apprentis sorciers ?

Crispr est une révolution mais encore expérimentale et sa simplicité a dopé l’imagination des apprentis sorciers. En Chine l’an dernier, un scientifique, He Jiankui, a modifié avec Crispr des embryons lors d’une fécondation in vitro, qui sont devenus les jumelles Lulu et Nana, provoquant sa mise au ban de la communauté scientifique internationale. Il voulait créer une mutation immunisant contre le virus du sida (sans nécessité apparente), mais a provoqué d’autres mutations par inadvertance… qui seront transmissibles à leurs descendants.

« La technologie n’est pas encore sûre », dit Kiran Musunuru, professeur de génétique à l’université de Pennsylvanie. Les ciseaux Crispr coupent souvent à côté du gène ciblé. « C’est facile à utiliser si on se fiche des conséquences ». Mais l’autodiscipline éthique semble prévaloir. Même si un Russe, Denis Rebrikov, envisage d’utiliser Crispr pour aider des parents sourds à avoir des enfants sans le handicap.

Emmanuelle Charpentier ne croit pas aux prédictions les plus sombres. Les « biohackers » américains qui s’injectent du Crispr acheté sur internet? « Tout le monde n’est pas biologiste ou scientifique », balaie-t-elle. Elle reste persuadée que la technologie tend à être utilisée pour le meilleur et qu’en substance, l’avenir apportera plus de Victoria que de Lulu et Nana.