L’essai du médecin Jean-David Zeitoun « la Grande Extension, une histoire de la santé » raconte l’histoire d’une anomalie. Celle de l’amélioration spectaculaire de l’espérance de vie humaine, en seulement trois siècles ; mais aussi l’éventuelle baisse de la santé, au XXIe siècle.
L’humanité part de loin. Pendant des milliers d’années, de la préhistoire jusqu’à l’ère industrielle, l’espérance de vie moyenne ne dépassait pas les 25-30 ans, car la mortalité infantile était très élevée – la moitié des enfants mouraient probablement avant l’âge de 10 ans. Ajoutez à cela le triptyque suivant : violence, sous-nutrition et infection. L’insécurité sanitaire était palpable.
À partir de 1750, l’amélioration de la santé connaîtra des débuts difficiles. Les inégalités étaient fortes et exacerbées par l’industrialisation et l’urbanisation. Ainsi, les villes sont devenues denses et toxiques à cause, notamment, des usines à charbon – un phénomène particulièrement marqué en Angleterre. Les conditions de travail des plus pauvres étaient difficiles et dégradantes, physiquement et psychologiquement. Seuls, les plus riches pouvaient être en bonne santé.
Mais depuis, la longévité a presque triplé, et cela, en seulement trois siècles ; grâce à des révolutions médicales, industrielles et économiques, sans précédent. Pourtant, ces succès sont aujourd’hui menacés par deux types de risques. D’abord, les risques environnementaux, à savoir : la pollution, les vagues de chaleur et les zoonoses. Puis les risques comportementaux avec le tabagisme, la consommation d’alcool, la sédentarité et le surpoids. Cette fois-ci, il semblerait que tout ce qui faisait défaut soit devenu excessif.
Les grandes avancées
Les premières tentatives d’immunisation volontaire commencent dès le XVIIIe siècle avec la variolisation. Cette technique permettait de lutter contre la variole, une maladie qui tuait à l’époque 20 à 30 % des personnes contaminées. Longtemps décriée, elle consistait à exposer une personne à des pustules d’un malade qui ne souffrait pas d’une forme grave de la maladie.
Si la première expérimentation d’un vaccin par Edward Jenner remonte à 1796, la découverte des microbes par Louis Pasteur fut l’événement le plus déterminant. Considéré comme « l’un des faits les plus importants de l’histoire de la médecine, de la santé et sans doute de l’Histoire tout court » par le docteur en médecine et en épidémiologie clinique Jean-David Zeitoun, la théorie des germes va progressivement remplacer la théorie des miasmes, et s’imposer dans les années 1870, pour aboutir au développement en série des vaccins, quinze ans plus tard. Dans la même période, le chirurgien Joseph Lister introduisit l’antisepsie lors de ses opérations. Une méthode destinée à prévenir et combattre les infections en détruisant les microbes. Il utilisait alors du phénol pour désinfecter ses mains et stériliser ses instruments, ce qui a permis de diviser par trois la mortalité postopératoire.
Bien plus tard, après la première guerre mondiale, la santé est entrée dans une nouvelle phase. Les progrès de la science et les systèmes de soin, comme la Sécurité sociale, vont bénéficier à toute la population. Les « médicaments miracles » (wonder drug, en anglais) tels que les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les anxiolytiques et les anti-hypertenseurs, vont faire leur apparition. La chirurgie va se complexifier avec par exemple le pontage coronarien – une innovation chirurgicale de référence consistant à revasculariser le cœur. Certaines chimiothérapies commencent à être efficaces. Tout s’accélère.
Malgré toutes ces avancées, « la santé n’est déterminée que minoritairement par la médecine », insiste Jean-David Zeitoun. En effet, l’augmentation linéaire de l’espérance de vie est due principalement aux actions de santé publique qui ont participé à l’assainissement des villes, avec le traitement des déchets, l’apport en eau potable et une meilleure alimentation. Mais aussi grâce à l’intensification des campagnes d’information grand public