Réchauffement climatique: des dommages économiques au moins six fois plus importants que les estimations passées

 

Deux études réévaluent à la hausse l’impact économique du changement climatique. En utilisant des méthodes très différentes pour mieux prendre en compte les évènements climatiques extrêmes, les auteurs montrent que les dégâts économiques causés par le réchauffement climatique seront bien supérieurs aux budgets à investir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Un PIB qui diminue de 12% pour chaque degré de réchauffement. Dans un document de travail mis en ligne en mai par un institut économique américain renommé, le National bureau of economic research (NBER), deux chercheurs apportent une nouvelle estimation des dommages causés par le réchauffement climatique sur l’économie mondiale.

« On a regardé comment l’activité économique réagissait quand la température moyenne mondiale montait, explique Adrien Bilal, économiste à l’Université d’Harvard, aux États-Unis, et coauteur de l’étude. On a trouvé des effets six fois plus importants sur l’activité économique que les estimations précédentes, basées sur les températures locales, par pays. Pour résumer, ce qu’on trouve, c’est que quand la température moyenne mondiale augmente de 1°C, ça implique une réduction du PIB et de l’activité économique mondiale de 12%. C’est vraiment substantiel. »

Il s’agit d’un document de travail, qui n’a pas encore suivi le processus de la relecture par les pairs, par d’autres scientifiques, avant la publication. Dans le cas de cette étude, ce parcours devrait prendre plusieurs mois, voire plusieurs années. Malgré cette limite, ces résultats ont suscité beaucoup d’intérêt dans la communauté scientifique.

L’impact des évènements climatiques extrêmes

En avril, une équipe allemande avait livré sa propre estimation, publiée dans la revue scientifique Nature. Cette étude a suivi tout le processus de relecture. Ses résultats sont donc plus solides. Les auteurs estiment à 19% la réduction du PIB d’ici 2050 par rapport à un monde sans changement climatique. Une baisse incompressible, que seules quelques mesures d’adaptation pourraient atténuer. Mais surtout, les décisions actuelles vont conditionner la santé de l’économie mondiale après 2050. « Ce qui est très clair, souligne Maximilian Kotz, post-doctorant à l’Institut de recherche sur l’impact du changement climatique, à Potsdam en Allemagne, et coauteur de l’étude, c’est que les choix que nous faisons aujourd’hui auront un énorme impact sur l’ampleur des dommages économiques que nous verrons dans la deuxième moitié du XXIᵉ siècle, entre 2050 et 2100. Les dommages seront beaucoup plus importants si l’on continue à suivre cette voie des émissions élevées. »

Le point commun de ces deux études, c’est que les auteurs ont cherché à mieux prendre en compte les effets économiques des évènements climatiques extrêmes, comme les inondations, les canicules ou les cyclones. Pour cela, ils ont fait des choix différents. L’équipe américaine a choisi de regarder l’effet des températures moyennes mondiales sur l’économie, car elles prédisent mieux les évènements climatiques extrêmes que les températures locales, par pays. Et les chercheurs allemands sont descendus à l’échelle très locale, au niveau du département par exemple pour la France, en prenant en compte non seulement les variations des températures moyennes locales, mais aussi les extrêmes des températures et les précipitations, qui étaient rarement pris en compte dans les études précédentes.

Les pays du Sud seront les plus touchés

Maximilian Kotz a regardé avec intérêt les résultats de l’équipe américaine. « Les auteurs ont une approche très différente de la nôtre, mais ils arrivent à des conclusions assez similaires, observe-t-il. On arrive au même ordre de grandeur de l’impact économique du réchauffement climatique. »

D’un côté, l’étude américaine conclut qu’une augmentation de 1°C de la température moyenne mondiale entraîne un déclin du PIB mondial de 12%. Et 1°C d’augmentation, c’est à peu près ce que l’on va vivre entre 2024 et 2050, cette période sur laquelle l’étude allemande prévoit une baisse moyenne du PIB de 19% à travers le monde. 12% et 19%, ce sont des estimations qui restent du même ordre de grandeur, et bien au-dessus de la plupart des estimations précédentes.

Les deux études montrent que ce sont les économies des pays du Sud, des pays les plus chauds, qui souffriront le plus. L’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est seront les plus touchées, alors qu’elles ont, historiquement, le moins contribué au changement climatique, et qu’elles comptent les pays les plus pauvres actuellement.

« La productivité au travail et la productivité agricole commencent à diminuer au-delà de températures autour de 20 ou 30°C. Et ces pays sont déjà proches de ces seuils de température », explique Maximilian Kotz.

La transition peut s’autofinancer

« Le message à retenir, pour les décideurs politiques et économiques, c’est que le changement climatique a des conséquences économiques importantes, qui vont s’aggraver si on ne réduit pas nos émissions de gaz à effet de serre », poursuit-il. Ces impacts économiques du changement climatique que l’on va connaître dans les 25 prochaines années, ils sont déjà plus élevés que les coûts nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. »

Les chercheurs espèrent que ces nouveaux résultats pourront peser, pour faire pencher la balance en faveur des mesures de transition, dans les pays les plus émetteurs de carbone.

« Étant donné les coûts très importants du changement climatique qu’on trouve, appuie Adrien Bilal, ça implique que les économies qui ont une production substantielle comme les États-Unis, la Chine ou l’Union européenne, peuvent maintenant penser que l’analyse coût-bénéfice des politiques climatiques devient favorable, même s’ils ne se préoccupent que des impacts sur leur propre économie. »

Il détaille : « Par exemple, aux États-Unis, le coût de la décarbonation, c’est à peu près 80 dollars par tonne de carbone. Et donc, avant, si le gouvernement américain ne se préoccupait que de l’impact du changement climatique sur sa propre économie – qui était évalué à 30 dollars par tonne de carbone – l’analyse coût-bénéfice n’était pas favorable à la mise en place de politiques publiques pour réduire les émissions. Mais nos résultats impliquent que le changement climatique coûtera 200 dollars par tonne de carbone émise à l’économie américaine seule. Un coût supérieur au coût de la décarbonation, du point de vue des Etats-Unis. »

Cela veut donc dire que la lutte contre le changement climatique peut largement être autofinancée par les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Chaque tonne de carbone qui n’est pas rejetée dans l’air rapporte plus que le budget investi pour éviter son émission.

L’équipe américaine conclut que dans un scénario à +3°C, la production économique et la consommation mondiales diminueraient de moitié en 2100 par rapport à un monde sans changement climatique. Cela veut dire que plus on attend pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et plus la transition sera difficile à financer. Notamment parce que les recettes fiscales vont diminuer.

Ces nouvelles estimations illustrent l’importance des méthodes d’évaluation de l’impact économique du réchauffement climatique. Plus les données scientifiques sur le changement climatique s’accumulent, et plus les économistes pourront préciser leurs estimations. Avec des conséquences majeures sur les choix de politiques publiques, à condition que les décideurs politiques et économiques soient à l’écoute