Dans la journée du, vendredi 19 août 2017, nos confrères de Guineematin.com et de la radio Espace Fm envoyés à Freetown ont été reçus par son Excellence Fodé Camara, ambassadeur de Guinée en Sierra-Léone. Leur entretien a porté à la fois sur le drame de Regent, qui a coûté la vie à des centaines de personnes dont des ressortissants guinéens ; de la visite du professeur Alpha Condé dans ce pays frère et ami de la Guinée, suite à ce drame ; des relations entre ce diplomate guinéen et nos compatriotes vivant en Sierra Léone dont le nombre est estimé à plus d’un million de personnes…
Nous vous proposons l’intégralité de cet entretien
Monsieur l’ambassadeur ,Une forte pluie s’est abattue sur Freetown dans la nuit du dimanche à lundi, 14 août 2017, entraînant la mort de plusieurs centaines de personnes. En tant qu’ambassadeur, comment vous avez vécu ce drame ?
Son Excellence Fodé Camara : D’abord, je voudrais saisir de cette occasion bien que triste pour souhaiter la bienvenue à l’ambassade Guinée à Freetown ; donc, la bienvenue dans votre maison. Le drame que vient de vive le peuple frère de Sierra-Léone constitue vraiment une tristesse pour nous tous. Parce que j’aimerais que vous sachiez que tout ce qui touche la Sierra-Léone de près ou de loin touche la Guinée. Tout ce qui touche la Guinée également touche la Sierra-Léone. Donc, quand nos frères de la Sierra-Léone vivent une telle tragédie, ce n’est pas une tragédie simplement pour la Sierra-Léone ; mais, c’est aussi une tragédie pour la Guinée.
Est-ce qu’il y a des guinéens parmi les victimes ? Si oui, est-ce qu’on peut avoir le nombre ?
Excellence Fodé Camara : Oui ! Il y a malheureusement des guinéens qui ont été touchés par cette situation dramatique. Et, à l’heure où je vous parle, nous avons dépêché sur le terrain certains de nos éléments. Avec preuve à l’appui, nous avons dénombré une vingtaine de guinéens qui étaient dans une situation de précarité, qui habitaient au flanc de la montagne et qui ont été emportés dans leur sommeil par le glissement de terrain, par cette coulée de boue qui a eu lieu très malheureusement.
Alors, vous avez pu identifier les corps ?
Excellence Fodé Camara : Les corps n’ont pas été retrouvés ! C’est ce qui est encore très dommage pour permettre aux familles des victimes de faire leur deuil comme cela se doit. Parce que vu la manière dont les maisons ont été construites ; alors, quand il y a eu glissement de terrain, la terre qui est venue de la montage est venue recouvrir les maisons. Ces domicile ont été envahis complètement ; donc, les corps gisent sous les gravas. Et, malheureusement, le manque de logistique du côté léonais fait qu’ils sont dans l’incapacité de dégager tous ces gravas-là pour sortir les corps. Et, pour une information que je tiens à partager avec vous, c’est qu’officiellement nous parlons de trois cent (300) à quatre cent (400) morts. Mais, il y a aujourd’hui encore sous ces gravas plus de six cent (600), sept cent (700) à huit cent (800) personnes dont on ne pourra pas malheureusement avoir les corps.
Le chef de l’Etat , le professeur Alpha Condé, a été un des premiers chefs d’Etat à venir à Freetown pour exprimer sa compassion suite à ce drame. On apprend qu’il a fait des dons. Est-ce que vous pouvez nous donner plus de détails sur cette visite ?
Excellence Fodé Camara :c’est dans la nuit du dimanche à lundi que ce drame a eu lieu. Le président Alpha Condé, dès qu’il a été informé de la situation qui prévalait sur le terrain, a immédiatement, en tant que président de l’Union Africaine et de la Guinée, pris son bâton de pèlerin et s’est rendu en Sierra-Leone. Il a rencontré son frère, le Docteur Ernest Bai Koroma auquel il a présenté ses très sincères condoléances. Ensuite, il s’est rendu sur le lieu du drame, il a annoncé aussi des aides d’urgence au peuple Sierra-Léonais. Il a offert cinquante (50) tonnes de riz, ainsi qu’une enveloppe financière de cent mille dollars (100 000 USD), en vue de faire face aux besoins immédiats. Mais, le président de la République de Guinée, son excellence Alpha Condé aurait voulu savoir sur place quels sont les besoins immédiats, quantifiables du peuple léonais pour agir. Parce que non seulement il va agir en tant que guinéen mais inciter aussi la communauté internationale, en passant d’abord par la Mano River Union, la CEDEAO, l’Union africaine et l’ensemble de la communauté internationale à s’investir auprès du peuple Sierra-Léonais. Et, c’est le lieu justement de souligner que lorsque les autorités de nos différents pays interviennent pour dire aux populations : ‘attention, faites gaffes pour ne pas construire vos lieux d’habitations dans des endroits qui ne sont pas concevables pour ces genres d’habitations’. Mais, les gens s’entêtent et finalement c’est un risque au péril de leur vie. C’est ce qui s’est passé. C’est pourquoi, le président Ernest Bai Koroma avait demandé aux populations de ne pas construire aux pieds des montagnes. Parce que l’être humain ne peut pas changer le cours de la nature ; et, cette défiance là fait que nous nous retrouvons dans ça. C’est comme le cas de Demoudoula en Guinée, il faut que chacun puisse prendre ses responsabilités pour qu’on puisse aller de l’avant.
Il y aune forte communauté guinéenne dans ce pays frère et ami, la Sierra-Leone. Quel rapport vous entretenez avec ces guinéens vivant au pays d’Ernst Bai Koroma ?
Excellence Fodé Camara :l’ une des fonctions essentielles de l’ambassade constitue de faire jouer la fonction de protection à l’endroit de ses concitoyens. Lorsque nous parlons de la fonction de protection, nous parlons explicitement de protection diplomatique, c’est-à-dire s’occuper de l’intérêt de nos concitoyens dans un pays où vous êtes accrédité. Et, de ce point de vue, ça ne pose exactement aucun problème. Chaque guinéen qui vient ici, bien que c’est de notoriété publique, nous ne disposons pas de caisse pour pouvoir aider nos compatriotes. Mais tous les guinéens qui viennent soit parce qu’ils ont perdu leurs papiers, parce qu’ils veulent avoir le transport pour rentrer en Guinée ou bien ils ont des problèmes ou ils sont à la police, devant les tribunaux, en prison, etc. À mon arrivée ici, j’ai été moi-même à la prison de Bademba Rood pour vraiment connaître qui sont les guinéens qui étaient en prison. Dieu merci, certains guinéens ont été élargis et je leur ai porté le message du président de la République de Guinée qui dit qu’il est là pour tous les guinéens et cela ne doit pas seulement se limiter à des paroles, mais être traduit par des actes, c’est ce que nous faisons. Alors non seulement j’ai vu les guinéens qui étaient en prison, mais j’ai en même temps réuni avec les moyens de bord des denrées alimentaires, des médicaments, des vêtements et tout ce que je pouvais avoir pour leur envoyer dans la prison. Ça été commenté en Sierra-Léone par tout le monde. Aussi, avant, les guinéens faisaient l’objet de beaucoup de tracasseries, notamment les conducteurs de motos taxis. Il a fallut que j’élève le ton pour mettre fin à ces genres de pratiques. Et, nous rendons grâce à Dieu, aujourd’hui, ces jeunes guinéens se promènent tranquillement dans les rues de la Sierra-Leone ; et, je crois qu’ils savent que s’il y a un problème, il y a une ambassade qui est là pour eux. Je leur ai dit qu’il faut respecter les lois du pays d’accueil et que s’il y a un problème que je dois toucher du doigt. Je suis guinéen et je ne suis pas d’accord quand on me dit qu’il y a une association des peuls, une association des malinkés, une association des soussous, une association des forestiers. Non ! Je veux qu’il y ait une association qui regroupe tous les ressortissants guinéens.
Pendant les moments d’élections, on sait qu’il y a souvent des tensions. Comment vous gérez les partis politiques dans la période électorale ?
Excellence Fodé Camara : Non ! Moi, j’aimerai que la politique, qu’on la fasse en Guinée. Celui qui veut faire la politique, il n’a qu’à aller en Guinée qui est à quelques kilomètres de Freetown. Moi, je ne suis pas venu ici pour faire la politique ! Je suis venu pour représenter un président de la République, un État, un gouvernement, un peuple. Je parle au nom du gouvernement de Guinée et au nom du président de la République, le professeur Alpha Condé.
Son excellence, en tant que diplomate, vous avez pourtant un rôle politique. On apprend que pendant les élections de 2015, les ressortissants guinéens vivant en Sierra-Leone n’avaient pas pu voter à cause des bisbilles qu’il y a eu entre vous ?
Excellence Fodé Camara : Je ne veux pas vous interrompre ; mais, les élections sont passées. Nous sommes entrain de travailler, un peuple est meurtri, parlons de ça.
Alors, dîtes-nous comment vous travaillez ici à l’interne ?
Excellence Fodé Camara : Ah non ! Ça, c’est notre cuisine interne.
Quelle est la procédure d’acquisition du passeport par les ressortissants ?
Excellence Fodé Camara : Il est du droit de tout guinéen d’avoir un passeport. Mais, il se trouve que faire les passeports biométriques obéit à certain critères. Et, pour cela, l’ambassade n’a pas compétence de livrer des passeports à l’étranger. Donc, pour avoir votre passeport pour le moment, la seule possibilité sur le terrain qui s’offre à nos concitoyens et à moi-même, c’est d’aller à Conakry…
Vous ne trouvez pas ça un peu incompréhensible parce que dans certains pays comme au Sénégal, au Ghana et même au Congo, les représentations diplomatiques délivrent les passeports aux citoyens guinéens. Pourquoi la Sierra-Léone qui regorge une forte communauté guinéenne en fait exception ?
Excellence Fodé Camara : Il a été prévu par le ministère de la sécurité en Guinée d’envoyer des équipes un peu partout dans le monde où existe les fortes communautés guinéennes pour faire face aux soucis que vous exprimez. Bon ! En Sierra-Leone, ça n’a pas été fait encore et je crois que vous avez raison, le ministère de la Sécurité en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères doivent prendre les mesures nécessaires pour soulager nos concitoyens afin d’obtenir leurs passeports. Mais, pour le moment, malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de produire des passeports au sein de notre mission diplomatique.
est-ce que vous pouvez nous dire un peu les difficultés auxquelles vous êtes confrontés ici ?
Excellence Fodé Camara : Une question très intéressante ! Vous savez, toute institution a des difficultés. Ce que vous dites est réel, les problèmes, quand ils sont posés, il faut chercher les solutions. Oui, on a des difficultés, je dis clairement qu’on a des difficultés. Aujourd’hui, je suis venu à l’ambassade avec une voiture de location. Je n’ai aussi pas de résidence…
C’est la fin de cet entretien, à moins que vous ayez un dernier mot ?
Excellence Fodé Camara :suite à ces tristes événements, j’ai fait appel aux leaders d’opinion, indépendamment de toute considération subjective, politique ou ethnique. Il faut qu’on se donne les mains pour que s’il y a des guinéens à aider, il faut qu’on les aide tout de suite. C’est le souci du gouvernement guinéen, c’est le souci du président de la République. Et, moi, je ne suis là que pour mettre cela en œuvre. Donc, les guinéens, s’ils m’écoutent maintenant, doivent savoir que l’ambassade c’est pour les guinéens et les guinéennes, peu importe de quelle obédience vous êtes, de quelle région vous venez… L’ambassade est prête à aider tout le monde. La seule chose que je demande à nos compatriotes, nous sommes en Sierra-Léone qui est un pays étranger, qui a ses lois, qui a ses règlements, qui a toute une série de code à respecter… Je vais vous faire une confidence, avant la prison de Bademba Road s’appelait la prison de haute sécurité de Bademba Road. Mais, à cause de certaines interventions que j’ai eu à faire au sein même de cette prison en faveur des détenus guinéens, ils ont été obligés de changer le nom de cette prison en l’appelant centre de correction de Bademba Road. Donc, c’est pour vous dire à quel degré nous sommes engagés. Mais, malheureusement, les gens ne diront jamais ce que vous faites du bien. Ils sont là simplement à essayer de chercher un pou sur un crâne rasé.
Merci à vous.