Science: Des poissons avec des jambes qui courent et explorent les fonds marins

Certains poissons sont munis d’appendices leur permettant de courir sur les fonds marins. Une équipe américaine s’est penchée sur ces drôles de spécimens et en a tiré des leçons sur l’évolution des caractères constitutifs.

Prionotus carolinus, un poisson présent dans l’océan Atlantique et connu pour posséder des nageoires ventrales transformées en pseudo-jambes.

A 300 mètres de profondeur patrouillent de bien étranges créatures, les Triglidae, des poissons à larges gueules et pourvus de trois paires de jambes qui leur permettent de gambader sur le sable. Deux articles viennent de paraître dans la revue Current Biology qui s’attardent sur les caractéristiques physiologiques et évolutives de ces curieux appendices.

L’équipe d’Amy Herbert et Corey Allard, respectivement des universités de Stanford et d’Harvard, s’est tout d’abord penchée sur Prionotus carolinus (P.carolinus), une espèce rencontrée dans l’océan Atlantique.

Car si tous les Triglidae sont connus pour posséder des nageoires ventrales transformées en pseudo-jambes grâce auxquelles ces poissons courent sur les fonds marins, des observations laissaient penser que leurs membres remplissent d’autres fonctions. En effet, tout portait à croire que ceux-ci leur servent également d’organes tactiles pour débusquer les proies cachées sous le sol, mais cette capacité n’avait jamais été vraiment démontrée.

Des jambes pour détecter les proies

Pour la tester, les chercheurs ont placé des P.carolinus dans une cuve et ont enterré dans le sable à différentes profondeurs allant de 1 à 5 centimètres des moules ainsi que des gélules poreuses contenant des extraits de moules, mais également des gélules « contrôle » ne contenant que de l’eau de mer.

Il s’avère que ce poisson est bien pourvu de la capacité de sentir à travers le sable les molécules émises par ses proies puisque l’animal a été capable de détecter et de déterrer avec précision la nourriture enfouie, soit entière, soit en gélules. Une capacité discriminatoire très fine puisque P.carolinus, et les scientifiques l’ont mesuré, sent des concentrations allant jusqu’au niveau moléculaire.

Prionotus carolinus

Prionotus carolinus, un poisson présent dans l’océan Atlantique. Crédits : Anik Grearso

Durant leurs travaux de recherche, les chercheurs sont par mégarde tombés sur une autre espèce de Triglidae. Le hasard faisant bien les choses, cette découverte fortuite leur a donné l’idée et la matière du second papier qu’ils publient conjointement dans Current Biology et qui se concentre sur les gènes développementaux ayant abouti à ces « poissons marcheurs ».

Des pieds différents selon les espèces

En effet, l’autre Triglidae pêché, contrairement à ce qu’ils croyaient au début, n’appartenait pas à l’espèce P.carolinus mais P.evolans. Or, les « pieds » et les capacités des deux espèces sont très différentes. P.evolans, bien qu’il ait le même régime alimentaire que son cousin P.carolinus, n’est ainsi pas capable de détecter les proies enfouies dans le sable.

Une différence qui tire son origine de la morphologie des « pieds » des deux espèces. Tandis que ceux de P.carolinus sont en forme de pelles et recouverts de petites protrusions similaires aux papilles parsemant les langues et les systèmes digestifs des animaux, les « pieds » de P.evolans en sont dépourvus et prennent la forme de simples tiges.

 

Les Triglidae sont pourvus de trois paires de jambes qui leur permettent de gambader sur le sable. Crédits : Anik Grearson

Une histoire évolutive en trois temps

Les chercheurs ont poursuivi leurs investigations en examinant la morphologie des membres d’autres espèces de Triglidae détenues par des muséums. Ils font ainsi l’hypothèse qu’au cours de l’histoire vieille de plusieurs millions d’années des Triglidae, les nageoires ventrales ont subi plusieurs bonds évolutifs.

Initialement, elles se sont spécialisées pour la locomotion uniquement et P.evolans en est un représentant. Ensuite, chez certaines espèces, l’évolution s’est poursuivie et les extrémités des membres se sont aplaties en forme de lobe, devenant capables de fouiller le sol à la recherche de nourriture. Enfin, au dernier stade, les « pieds » de quelques espèces chanceuses dont P.carolinus se sont recouverts de papilles sensitives encore plus spécialisées pour dénicher des proies enfouies