Climat: les émissions mondiales de gaz à effet de serre progressent toujours, le G20 appelé à agir vite

Elles ont augmenté de 1,3% en 2023 sur un an, selon le rapport annuel du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur le fossé des émissions mondiales de gaz à effets de serre (Emissions Gap Report), dévoilé ce 24 octobre. L’ambition pour les réduire reste très insuffisante pour s’aligner sur la trajectoire de 1,5°C ou même 2°C de réchauffement. Le G20 relâche près de 80% des émissions. Des espoirs sont permis, ils résident dans le passage à l’action.

Les 197 nations doivent communiquer leurs stratégies climat (contributions nationales déterminées, CDN) d’ici à février 2025. Elles devront indiquer en détail quel est leur plan pour réduire les émissions de GES sur leur territoire, sur la prochaine décennie. Ce sont ni plus ni moins les engagements concrets des États de s’engager en faveur d’un climat supportable à l’avenir, en ligne avec l’Accord de Paris. Autrement dit : la traduction de leur volonté politique, à travers un calendrier et les actions à mener dans les secteurs prioritaires (énergiestransports, agriculture, santé, infrastructures, tourisme…), ainsi que le budget consacré. Ces CDN doivent être rendues publiques et sont un repère de notre progression commune vers les plafonds symboliques de 2°C, si possible 1,5°C de réchauffement maximal. Le réchauffement climatique mondial s’est déjà élevé de près de 1,3°C depuis l’ère pré-industrielle. Septembre 2024 a été le 14e mois sur les 15 précédents à dépasser 1,5°C de réchauffement par rapport au climat moyen pré-industriel (1850-1900).

Au 10 juillet 2024, selon le Climate Action Tracker, 69 États avaient mis à jour leur stratégie nationale depuis 2022, et seulement… 5 sont plus ambitieuses que les précédentes – Australie, Thaïlande, Norvège, Émirats arabes unis et Singapour. Aucune stratégie nationale au monde n’est alignée avec une trajectoire de réchauffement de 1,5°C, hormis le Bhoutan, seul pays déjà neutre en carbone. Si les CDN actuelles étaient bien mises en œuvre aujourd’hui, elles ne réduiraient que de 10% le total d’émissions à horizon 2030, affirme ce jeudi 24 octobre le 15e rapport du PNUE. Le réchauffement climatique serait alors de 2,6°C au cours du siècle. Un scénario « catastrophique » pour de nombreuses régions du monde, qui deviendraient inhabitables. Et si le rythme d’émissions actuel se poursuivait – sans l’application des CDN, avec les seules politiques climatiques actuelles –, il serait de 3,1°C.

« Le fossé des émissions reste large »

Pour tenir la trajectoire du 1,5°C de réchauffement, il faut réduire les émissions de 42% d’ici à 2030 (et de 28% pour la limite de 2°C), par rapport au niveau d’émissions de 2019 – environ 7,5% par an pour tenir l’objectif d’1,5°C. Au lieu de cela, elles ont globalement progressé de 1,3% entre 2022 et 2023, à 57,1 gigatonnes en équivalent CO2 en 2023, dévoile le rapport. Elles avaient déjà augmenté d’1,2% entre 2021 et 202. « On a observé une tendance au ralentissement, à l’amorce d’un plateau d’émissions, mais elles augmentent toujours », commente Anne Olhoff, rédactrice en cheffe scientifique du rapport, interrogée par Jeanne Richard. C’est un taux supérieur à la moyenne 2010-2019, qui était de 0,8%. « Le fossé des émissions reste large », alerte le rapport. Ce fossé, c’est ce qui sépare la trajectoire des ambitions affichées par les CDN et où l’on devrait être en 2030 pour respecter l’Accord de Paris.

« Les raisons principales de cette augmentation, poursuit Anne Olhoff, sont que, malgré le déploiement massif d’énergies renouvelables, la croissance économique tire la demande en énergie vers le haut » et le recours aux énergies fossiles reste élevé.« Ensuite, les effets du changement climatiques affectent la capacité à fournir des énergies bas-carbone. Par exemple, les sécheresses ont éprouvé la production hydroélectrique. »

Par secteur, 26% des émissions sont imputables à l’énergie (i.e la production électrique, dont plus d’un tiers vient du charbon, une part en diminution toutefois), 15% des transports, routiers principalement, 11% de l’industrie 10% de la production de carburants fossiles.

La Chine rattrape l’UE en émissions historiques

La responsabilité des émissions est largement inégale selon les pays, souligne encore le PNUE. L’ensemble des membres du G20 (moins l’Union africaine), c’est-à-dire le groupe des 19 pays les plus développés représentent 77% des émissions en 2023. Avec l’UA, cela fait passer le nombre de pays de 44 à 99, mais le total des émissions de 77 à 82% seulement. L’Afrique compte pour 6% des émissions de GES de la planète.

Dans le détail, la Chine est loin devant le plus gros émetteur avec 30% des émissions mondiales (en hausse de 5,2%), loin devant les États-Unis (11% des émissions, en baisse de 1,4%). Toutefois, les Américains restent les émetteurs historiques : 20% des émissions de 1850 à 2022, contre 12% pour les Chinois, et 12% pour les Européens. Chine et UE ont donc désormais la même « dette » historique d’émissions carbone, ce qui constitue un point de discussion central dans les négociations climatiques.

Les États-Unis sont aussi en tête par habitant, 18 tonnes de GES en moyenne, et devancent la Chine (11 tonnes par habitant). L’Inde connaît la plus forte augmentation d’émissions : +6,1% sur un an (8% des émissions totales, mais seulement 3% des émissions historiques), et l’Union européenne poursuit sa tendance à la baisse (-7,5%, avec une empreinte par tête de 7,3 tCO2). Les émissions russes montent de 2%, avec un ratio par habitant de 19 tCO2e. Enfin, les 55 pays de l’UA relâchent 0,7% de gaz en plus par rapport à l’an dernier, et ont une empreinte par habitant de 2,2 tonnes.

Vers un pic d’émissions mondial

Au sein du G20, encore sept nations n’ont pas atteint leur pic d’émissions de GES (Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Arabie saoudite, Corée du Sud et Turquie). Atteindre ce pic est une étape logique vers la neutralité carbone du pays. Or, tous les pays de ce même G20 (exception faite du Mexique et de l’UA) visent la neutralité dans un horizon proche de 2050. Cela signifie que les annonces ne sont pas encore suivies des faits. Conclusion du PNUE : « l’ambition est vaine sans action ». « L’objectif collectif du G20 est loin de la réduction moyenne requise pour s’aligner sur les scénarios de 1,5°C et 2°C […] Les politiques climatiques dans de nombreux pays ont avancé, mais les études manquent pour déterminer leurs effets d’ici à 2030 », note le PNUE. « Le G20 a une responsabilité-clé pour combler le fossé des émissionsC’est à la fois plus rentable et plus juste que le G20 réduise les émissions plus vite que la moyenne. »

Pourtant, malgré l’échelle des efforts, l’objectif du maintien du niveau de réchauffement reste possible, affirme le PNUE. « On pourrait voir un pic d’émissions global cette année, l’année prochaine ou en tout cas avant 2030 »indique Anne Olhoff.Tout comme« un pic de toutes les énergies fossiles »serait« sur la bonne voie », assure le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie, publié le 16 octobre. Une assertion très discutée par les acteurs et observateurs du secteur.Quoi qu’il en soit,« cela dépendra de la vitesse de transition des secteurs vers une énergie décarbonée, reprend la scientifique de l’ONU. Ils ne vont pas assez vite pour remplacer le recours aux énergies fossiles », nécessaires à la consommation mondiale.

Il faut pour cela un renforcement des engagements nationaux et un passage, très rapide, à l’action. « Ce sont les actions prises d’ici 2030 qui détermineront très largement le réchauffement futur. Or, le rapport montre qu’il y a 0,5°C de différence de température entre les politiques actuelles et les plus forts engagements. Cela prouve combien c’est désormais l’action qui importe plus que tout », insiste Anne Olhoff.

Multiplier les investissements par six

Le rapport inclut une analyse du potentiel d’atténuation de l’effet de serre dans les différents secteurs. Il est de 31 Gt d’équivalent CO2. « C’est la bonne nouvelle. Ce potentiel est énorme dans l’énergie, l’agriculture et sylviculture, l’utilisation des sols, l’industrie, etc. Il est suffisant pour nous maintenir dans les clous des trajectoires de réchauffement. Et une grande partie est exploitable grâce à seulement quelques options », rappelle la responsable onusienne. Celles-ci sont bien connues : le recours massif aux technologies solaire et éolienne offre un potentiel de réduction de 27% des émissions de GES d’ici à 2030 et 38% d’ici à 2035. Les énergies renouvelables sont censées tripler dans le monde en six ans, selon l’accord trouvé à la COP28. De même, une attention accrue à la préservation des forêts réduirait de 20% cette somme d’émissions. C’est sans compter de nombreuses autres options avancées par les experts, de la sobriété au recours aux technologies.

Charge aux États d’explorer ces pistes et préparer de nouvelles CDN « suffisamment solides » et réalistes d’ici février prochain. Pour y parvenir, elles devront « être soutenues de toute urgence par une initiative transgouvernementale, des mesures qui maximisent les co-bénéfices socio-économiques et environnementaux, une collaboration internationale renforcée qui comprend une réforme du système financier mondial, une forte implication du secteur privé et une multiplication par six au minimum des investissements », recommande le PNUE. Montant estimé de l’investissement nécessaire entre 2021 et 2050 : entre 900 et 2100 milliards de dollars par an. Une somme « substantielle mais gérable ramenée aux 110 000 milliards de dollars que pèsent l’économie et les marchés financiers mondiaux ». Selon ses calculs, le fossé des émissions à combler d’ici 2030 ou 2035 est encore possible avec un prix de la tonne de CO2 inférieure à 200 dollars.

Comme le martèlent les scientifiques, chaque fraction de degré de réchauffement a une incidence sur les populations du monde, les économies des pays, la préservation de la biodiversité. « L’inaction et la perte de temps ont des conséquences, prévient le PNUE. Ils réduisent le budget carbone restant », qui n’est plus que de 200 Gt pour rester sous la barre du 1,5°C. Soit moins de quatre ans au rythme actuel.

« Nous vacillons sur une corde raide planétaire, a réagi le chef de l’ONU, Antonio Guterres. Soit les dirigeants comblent l’écart en matière d’émissions, soit nous plongeons tête baissée dans un désastre climatique – les plus pauvres et les plus vulnérables étant ceux qui souffriront le plus […] L’écart d’émissions n’est pas une notion abstraite. Il existe un lien direct entre l’augmentation des émissions et les catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes et intenses. »

« Les plus grandes économies – les membres du G20, responsables d’environ 80 pour cent de toutes les émissions – doivent montrer la voie. J’exhorte les premiers à se manifester, a-t-il poursuivi ce jeudi. […] La finance sera au centre de la COP29. Les pays en développement ont besoin de toute urgence d’un soutien sérieux pour accélérer la transition vers une énergie propre et faire face aux violences météorologiques auxquelles ils sont déjà confrontés. La COP29 doit convenir d’un nouvel objectif financier qui débloquera les milliards de dollars dont elle a besoin. Et donne l’assurance qu’il sera livré. Nous savons que le prix de l’inaction climatique est bien plus élevé. »

Le G20 est attendu au tournant lors de sa réunion des 18 et 19 novembre prochain à Rio, au Brésil. Ce qu’il en résultera influera largement sur la dynamique de la COP29 qui s’ouvre le 11 novembre en Azerbaïdjan

Rfi