Souvenir : Grande voix de l’Afrique contemporaine, Tchicaya U Tam’si est mort d’une crise cardiaque le 22 avril 1988.

    Le fondateur des lettres congolaises, Tchicaya U Tam’Si est mort il y a 30 ans.Trente ans après sa disparition brutale, cette voix à nulle autre pareille continue de résonner dans le monde des lettres noires et françaises.

    On l’appelle le « Rimbaud noir ». Profondément moderniste, le Congolais Tchicaya U Tam’Si a produit l’essentiel de son œuvre littéraire entre les années 1950 et 1980. Poète, romancier, homme de théâtre, le Congolais avait pris ses distances par rapport au mouvement de la négritude, qui battait son plein lorsqu’il a publié ses premiers textes.

    Tchicaya est considéré comme le père de la littérature congolaise moderne. Son lyrisme fondateur et original, tourné vers les angoisses et obsessions personnelles plutôt que vers des considérations essentialistes, n’est sans doute pas étranger à la place de premier plan qu’occupe le Congo dans les lettres françaises contemporaines. Les héritiers de Tchicaya U Tam’si ont pour nom Sony Labou Tansi, Alain Mabanckou, Caya Makhélé, Marie-Léontine Tsibinda, pour ne citer que ceux-là.

    Notre confrère Boniface de RFI a rencontré Mongo-Mboussa qui a édité les œuvres complètes en trois volumes du barde du Congo.lisez

    RFI : Vous êtes aussi le biographe de Tchicaya dont nous commémorons aujourd’hui le trentième anniversaire de la disparition. Votre biographie porte un titre insolite Tchicaya U Tam’si, le viol de la lune (Vents d’ailleurs, 2014). Cela mérite une explication de texte.

    Boniface Mongo-Mboussa : La paternité de cette expression revient à Tchicaya lui-même. « Ce soir,/quel crime commettrais-je/ si je violais la lune ?  », écrivait-il dans son recueil Epitomé. J’avais trouvé ces vers poétiques, particulièrement représentatifs de la poésie passionnelle et iconoclaste de ce poète pas comme les autres. Cette métaphore de la lune prise d’assaut en dit long sur l’ambition et la portée de l’écriture de Tchicaya, que je situerais volontiers entre démesure de la passion et compassion.

    Un homme amoureux et passionné, donc. D’ailleurs, dans la biographie, en faisant référence aux circonstances de sa disparition il y a trente ans, vous écrivez : « Il meurt d’amour »…

    En effet, Tchicaya est mort en plein coït. Il me semble que cet homme qui a aimé la vie passionnément ne pouvait mourir que comme ça. Or il est mort célibataire car il n’avait pas trouvé son âme sœur. Sa poésie est très « vitaliste », elle reflète ses passions et ses souffrances. Paradoxalement, cet homme qui aimait la vie a été aussi marqué dans sa chair par ce qu’il appelait les « trahisons » de la vie. Il a beaucoup souffert, physiquement comme psychiquement.

    De quoi souffrait-il ?

    Il souffrait d’avoir été sevré de sa mère biologique très tôt, à l’âge de trois ou quatre ans. Il souffrait de son pied-bot qui faisait de lui un objet de moqueries à l’école. De l’exil, aussi. En 1946, il a 15 ans quand son père, élu député à l’Assemblée constituante à Paris, le fait venir dans la capitale française pour qu’il fasse des études. Il est pensionnaire dans un lycée à Orléans, mais il est complexé parce qu’il était beaucoup plus âgé que les autres élèves de sa classe. En cours de récréation, il est chahuté parce qu’il ne peut pas courir. Elève solitaire, il reste dans son coin, et pour échapper aux moqueries, il se dit poète et plagie une chanson de Tino Rossi, mais sa supercherie est vite découverte. Il va finir par quitter définitivement les bancs de l’école sans obtenir le baccalauréat.

    Cela ne l’a pas empêché de s’imposer comme l’un des plus grands poètes de langue française.

    Il avait de véritables dons poétiques. Il envoyait ses poèmes à son père, dont un inspiré des massacres coloniaux survenus en 1948. Son père le montra à Aimé Césaire, qui était son collègue à l’Assemblée nationale en tant que député de la Martinique. « Il n’y a pas de doute, votre fils est un poète », lui aurait dit Césaire. Le père qui commençait à désespérer de l’avenir de son fils pour qui il nourrissait de grandes ambitions, était un peu rasséréné par la réaction du poète martiniquais de la négritude.

    Malgré cet adoubement par le père de la négritude, la poésie de U Tam’si est très éloignée de ce courant. Comment a-t-il réussi à échapper à l’influence de Senghor et de Césaire qui tiennent le haut du pavé au moment où l’exilé congolais entre en littérature ?

    Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, Aimé Césaire comme Senghor étaient des normaliens. Tchicaya qui n’avait pas réussi à décrocher le baccalauréat, n’avait pas leur bagage culturel. Il fallait qu’il trouve autre chose d’autant qu’il ne se reconnaissait guère dans le parcours de Senghor. Celui-ci idéalisait son enfance et la qualifie de « paradis perdu  », alors que pour le Congolais Tchicaya, l’enfance est une absence, un vertige, une douleur.

    Il n’a jamais digéré l’abandon par sa mère qu’il qualifiera de « trahison », qui est une thématique récurrente de sa poésie. Son premier recueil Le Mauvais sang qu’il fait paraître en 1955 est travaillé par ce mal-être du poète lié à ses douloureux souvenirs d’enfance. Il a en tout sept recueils à son actif. Son ton personnel rompt avec la poésie de la négritude. « Sale tête de nègre, voici ma tête congolaise », écrira-t-il dans sa seconde anthologie, Feu de brousse. C’était sa façon de dire qu’il ne pouvait pas parler au nom de tous les Noirs puis qu’il ne connaissait pas leur expérience, mais il pouvait parler de son propre mal-être et de celui du Congo, son pays d’origine.

    On connaît la fameuse répartie du poète à un interlocuteur qui lui demandait si le Congo qu’il avait quitté en 1946 ne lui manquait pas. Il avait répondu : « Vous habitez le Congo, le Congo m’habite ». Que signifiait cette affirmation sur le plan de l’écriture ?

    Tchicaya U Tam’si n’a cessé de chanter et de raconter le Congo à travers son œuvre, malgré son éloignement physique du pays natal. D’ailleurs, son nom qui est un pseudonyme, signifie en langue vili, « la petite feuille qui chante son pays ». Un pseudonyme qu’il va utiliser dès son second recueil Feu de brousse où il s’identifie avec le Congo, comme territoire, comme fleuve et paysage. Sa rencontre en 1946 avec le fleuve qui a donné le nom de son pays fut déterminante. Il a souvent raconté combien il fut sidéré devant ce majestueux fleuve qui, disait-il, « charrie une grande abondance de générosité ». Le fleuve a profondément marqué sa poésie.

    Le retour au Congo de Tchicaya passe aussi par le personnage de Lumumba que le poète a bien connu.

    Il l’a rencontré quelques mois avant sa chute. Séduit par le personnage et son idéalisme, il l’a accompagné, assistant à sa destitution à partir des premières loges. Tchicaya U Tam’si ne se remettra jamais de la mort de Lumumba auquel il a consacré Epitomé, un recueil tout en révolte, faisant du leader congolais un personnage quasi-christique. Pour le poète, son attachement à la cause de Lumumba était plus qu’un motif littéraire. Cet engagement l’a habité toute sa vie.

    Le poète congolais Tchicaya U Tam’Si (1932-1988) © Institut français du Congo

    Vous avez coordonné l’édition des œuvres complètes en trois volumes de Tchicaya U Tam’si. Comment s’organisent ces trois volumes ?

    Si le grand public connaît aujourd’hui la poésie de Tchicaya, on connaît moins bien ses dimensions de romancier et d’homme de théâtre. Il a aussi rassemblé les contes traditionnels, ce qui est une autre dimension méconnue de son génie. Le troisième tome des Oeuvres complètes de Tchicaya U Tam’si qui vient de paraître fait une large part aux contes traditionnels remis au goût du jour par l’écrivain congolais. On lira aussi dans ce troisième volume les nouvelles et le dernier roman d’U Tam’si Ces fruits si doux de l’arbre à pain, sélectionné pour le prix Goncourt 1987. Il avait aussi écrit une trilogie romanesque, qui est réunie dans le second tome des Oeuvres complètes. Quant au premier tome, il est entièrement consacré à la poésie.

    Trente ans après sa mort, quelle place occupe Tchicaya U Tam’Si dans la grande « fratrie » des lettres congolaises ?

    Une place prépondérante car il est le fondateur de la littérature congolaise moderne. En s’affirmant d’abord comme poète et congolais, sans se laisser influencer par l’appel au communautarisme de la négritude, il a su tailler un espace de liberté pour les écrivains congolais dans le champ littéraire africain. «  Tchicaya U Tam’si, le père de notre rêve », la phrase de Sony Labou Tansi résume parfaitement la contribution fondamentale aux lettres congolaises du poète du Mauvais sang.

     

    Exit mobile version