La prochaine Constitution de la Guinée pourra-t-elle rassembler les acteurs politiques guinéens ou va-t-elle semer les germes de nouvelles divisions ? Les débats d’orientation qui ont eu lieu durant la deuxième quinzaine de mai 2023 se sont faits sans les partis des Forces vives et des polémiques commencent déjà à se faire jour sur le prochain texte. Le Conseil National de la Transition (CNT) est l’institution qui est au cœur de ce travail constitutionnel : c’est lui qui a pour mission de rédiger l’avant-projet de nouvelle loi fondamentale. Quels sont les points d’ores et déjà envisagés ? Quel sera le calendrier des travaux à venir ? De passage à Paris, le président du CNT guinéen, Dr Dansa Kourouma, a répondu aux questions de rfi.
RFI : Dansa Kourouma, dans votre discours de clôture du débat d’orientation constitutionnelle, vous avez longuement évoqué la réforme du système partisan guinéen. Est-ce que cela veut dire que vous envisagez d’inscrire dans la prochaine Constitution des dispositions sur l’organisation de ce système partisan ?
Dansa Kourouma : Parfaitement. La réorganisation du système partisan est une demande de la population, qui a été consultée par le CNT à l’occasion des missions de consultations que nous avons organisées sur l’étendue du territoire national. Le rapport des assises nationales, également, sur le pardon et la réconciliation ont ressorti l’impérieuse nécessité d’organiser le système partisan et surtout les conditions de création de fonctionnement et l’organisation du mode de contrôle des partis politiques.
Est-ce que vous envisagez une limitation du nombre de partis ?
La limitation, non. Mais il y aura un filtre démocratique qui permet aux partis politiques de respecter les conditions de leur création, mais aussi les conditions d’exercice des libertés démocratiques.
Est-ce que certains partis politiques qui existent actuellement pourraient être amenés à disparaitre ?
Oui, naturellement. Il y a des partis qui peuvent ne pas être conformes aux nouveaux critères qui seront définis dans la nouvelle Constitution.
Est-ce qu’on se dirige également vers une limitation de l’âge des candidats à la présidentielle ?
Le débat se fait. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’acteurs qui se sont succédé au débat d’orientation constitutionnelle qui ont fait des propositions sur la limitation de l’âge. Mais pour le moment, nous voulons quitter la démocratie conflictuelle pour arriver à une démocratie consensuelle et apaisée. Le critère le plus important, ce sont les conditions qui peuvent garantir l’exercice des obligations des fonctions de président et de haut-représentant de l’État.
Pour être dans une démocratie tout à fait apaisée, il faudrait que la plupart des forces politiques du pays participent à ces discussions. Or, les Forces vives ont décidé de rester à l’écart de cette démarche. Comment peut-on associer ces Forces vives à la suite du processus ?
Nous avons adressé des correspondances, des termes de référence et des documents et supports essentiels à tous les acteurs de la vie nationale, y compris les entités qui composent les Forces vives.
En même temps, les Forces vives disent : impossible de participer au dialogue sur la Constitution s’il n’y a pas de dialogue plus général. Pourquoi un tel dialogue n’est-il pas possible sous la supervision de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), comme le demandent les Forces vives ?
Pour moi, le dialogue politique se fait en Guinée, c’est un dialogue entre les acteurs de la vie nationale et les autorités de la transition sur les modalités de mise en œuvre de la transition. La Cédéao peut intervenir à n’importe quel moment de ce dialogue. Elle a d’ailleurs désigné un médiateur. Je pense que la fonction du médiateur est une fonction qui est suffisamment importante pour assurer la continuité de ce dialogue. L’autre élément qui me semble être extrêmement important, c’est que toutes les conditionnalités posées par les Forces vives sont en train d’être mises en œuvre par les autorités guinéennes – en tête, le Premier ministre -, dont de revoir les conditions pour la libération provisoire de ceux qui étaient arrêtés, de ceux qui étaient en conflit avec la loi. Aujourd’hui, ces acteurs ont été libérés avec l’intervention des religieux. Le gouvernement guinéen est en train de tout mettre en œuvre pour que les conditions d’un dialogue se mettent en place. Mais, j’apporte une précision : le dialogue ne peut pas être un dialogue propre à chaque entité en fonction de sa demande.
L’article 57 de la charte de la transition attribue à votre institution, le CNT, la mission d’élaborer la nouvelle Constitution. Comment va s’organiser le travail de rédaction de cette nouvelle loi fondamentale ?
Déjà, nous sommes en avance. Nous avons mis en place une approche méthodologique sur dix points. Aujourd’hui, nous avons finalisé le sixième point : le débat d’orientation constitutionnelle. Les autres étapes qui viennent, c’est la rédaction de l’avant-projet et le dialogue institutionnel.
Quel sera le calendrier de cette rédaction de l’avant-projet et du dialogue qui va suivre ?
Les quatre autres étapes qui restent, nous comptons les dérouler dans les trois mois à venir.
Vous dites : « Nous sommes en avance ». Mais nous sommes en juin 2023. Normalement, suivant le calendrier de la transition, la Constitution aurait déjà dû être rédigée. Est-ce que ce retard va se répercuter sur la date de fin de la transition, fin 2024 ?
Nécessairement non, parce qu’en réalité, le retard qui a été accusé est en train d’être rattrapé. Le débat d’orientation constitutionnelle était parti sur 45 jours, mais nous l’avons réalisé en 15 jours pour éviter, naturellement, de s’éterniser sur cette phase. Nous comptons rattraper tout le temps. Mais ce qui est important, dans le respect du chronogramme de la transition, il y a la responsabilité de ceux qui sont au pouvoir, il y a la responsabilité de la Cédéao, il y a la responsabilité des acteurs politiques et sociaux de la Guinée. Chacun de nous doit se mettre ensemble autour de ce cadre de dialogue qui est créé pour que chacun puisse accomplir sa partition et aller de l’avant.
Vous disiez donc trois mois ce qui veut dire que fin septembre, il y aura un projet de Constitution pour la Guinée ?
Si tout va bien, nous avons l’obligation de respecter ce délai.
Interview réalisée par Laurent Caurau rfi, transcripte par notre rédaction