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À un mois de la COP28, Nord et Sud échouent à s’entendre sur les pertes et dommages climatiques

 

Le principe d’un fonds pour compenser les dégâts causés par le changement climatique dans les pays pauvres avait été victorieusement acté il y a un an en Égypte. Mais l’élan pour lui donner une forme et un contenu s’est à nouveau cassé, samedi 21 octobre, sur une ligne de fracture Nord-Sud toujours plus béante.

Il y a la coquille et il y a l’intérieur de la coquille. Pour la première, la COP27 en Égypte, au mois de novembre 2022, s’était achevée sur une victoire symbolique et concrète : la création d’un fonds pertes et dommages, demandé par les pays exposés aux risques climatiques grandissants. Émanant originellement des États insulaires, la demande d’aide financière pour les catastrophes climatiques est aussi ancienne que les négociations climats, soit une trentaine d’années. Mais si le principe était acté, tout reste encore à faire pour rendre ce fonds opérationnel.

Après quatre réunions spécifiques sur ce sujet, les parties ont échoué à s’entendre pour le rendre opérationnel. Une trentaine de pays étaient réunis à Assouan, jusque tard dans la nuit de vendredi à samedi. Au sein de ce comité de transition, le climat a été souvent crispé, selon nos informations, signe que ces discussions aux objectifs techniques sont déjà largement politiques. Désormais, une liste longue de treize points majeurs de désaccords empêche ce fonds crucial de se remplir. Trois d’entre eux dessinent de véritables lignes rouges, qui épousent sans surprise la frontière entre Nord et Sud.

Le Sud refuse la Banque mondiale pour loger le fonds

Première pierre d’achoppement : le choix de l’instance au sein de laquelle ce fonds sera hébergé. Les pays riches plaident pour que ce soit la Banque mondiale. Une option inacceptable pour les pays du « Sud global » qui « considèrent que la Banque mondiale n’est pas démocratique dans son mode de gouvernance », explique Fanny Petitbon, experte du dossier pertes et dommages à l’ONG Care. « Sa gouvernance fonctionne sur un modèle actionnarial : qui contribue le plus a plus de pouvoir de vote. Cela ne va pas du tout aux pays du Sud qui aimeraient avoir davantage de poids sur les décisions prises dans le cadre du fonds puisqu’ils sont davantage affectés que les pays développés. » Ce n’est pas un hasard si une réforme du système financier mondial, lequel repose sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, est réclamée à cor et à cri par ce même Sud global. Les pays de ce camp réclament donc que le fonds soit placé sous l’égide de la Convention climat de l’ONU pour garantir son indépendance.

Autre grief adressé à la Banque mondiale, elle n’accorde de l’argent que sous forme de prêt. « Or, pour les pays en développement, tout financement fléché pertes et dommage doit être accordé sous forme de dons, explique Fanny Petitbon. D’abord parce que c’est une dette que les pays du Nord ont envers les pays du Sud et ensuite parce qu’ils ne veulent pas se retrouver enfermer dans le cercle vicieux de la pauvreté. Ce serait effectivement un comble qu’ils doivent rembourser et payer des intérêts pour des impacts dont ils ne sont pas responsables ! »

Deuxième question non répondue : qui seront les contributeurs de ce fonds ? Pour les pays en développement, ce sont d’abord les pollueurs historiques qui doivent mettre la main à la poche : États-Unis, Union européenne, Australie, Japon… Mais pour les pays visés en revanche, des puissances émergentes comme la Chine, l’Inde et les pays du Golfe émettent aujourd’hui énormément de gaz à effets de serre et ont une richesse nationale bien plus élevées qu’au moment où a été négociée la Convention climat, en 1992. « Il y a une opposition entre responsabilité historique et monde d’aujourd’hui », résume Fanny Petitbon.

Enfin, s’agissant des bénéficiaires, les pays développés veulent les limiter aux petits États insulaires en développement, aux 46 pays les moins avancés du monde et à d’autres pays vulnérables à définir. Les pays en développement disent pour leur part qu’ils doivent tous en bénéficier, selon le classement de 1992. Incluant donc Chine, mais aussi Pakistan ou Libye – deux pays récemment meurtris par des inondations –, qui ont tous, aujourd’hui, un niveau supérieur à ceux des pays les moins avancés. Des solutions ont été mises sur la table à Assouan, pointent l’observatrice de Care : « Avinash Persaud, le bras droit de la Première ministre de la Barbade Mia Mottley, propose par exemple qu’un pays qui subit une catastrophe climatique dont les coûts s’élèvent au minima à 5% de son PIB aurait accès au fonds. Les Français et quelques pays développés ne s’y opposent pas à ce type de critères. Il y a là un rapprochement. »

Pas de montant évoqué

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Parmi les quelque dix autres points de discorde, figure également la couverture de ce fonds : doit-il s’étendre à la reconstruction des habitats ? Le retour à l’emploi et à un niveau de vie décent ? Les pertes non-économiques (ex : pertes de biens culturels) ? Là encore, riches et pauvres voient midi à leurs portes. Last but not least, aucun montant précis n’a été évoqué par le Nord pour abonder la future bourse, quand le Sud a posé un seuil plancher de 100 milliards de dollars par an, appelé à croitre avec les besoins. Les événements climatiques extrêmes survenus en 2022 dans les pays en développement ont causé plus de 109 milliards de dollars de pertes, selon la Loss and Damage Collaboration, un collectif Nord-Sud de chercheurs, juristes et militants. Quant à la manière de récolter l’argent, la question reste elle aussi entière, malgré diverses propositions de taxes sur la table depuis plusieurs années.

« Le gros de cet échec repose sur les pays développés parce qu’on a vu une volonté très nette de se défausser de leur responsabilité dans les impacts, juge Fanny Petitbon. Or, à ce stade, on a vraiment besoin d’une impulsion politique, de chefs d’Etats et de gouvernement qui essaient de trouver des compromis. » En attendant, s’interroge la spécialiste, « qui paye le prix de ces désaccords ? À peu près la moitié de l’humanité », jugée effectivement particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec).

Dans un communiqué transmis à RFI, Harjeet Singh, responsable du plaidoyer des stratégies globales au Réseau Action Climat international, relève « l’échec du comité de transition d’élaborer des recommandations pour l’opérationnalisation du Fonds pertes et dommages montre la profondeur du gouffre entre les pays riches et les pays pauvres. » Pour cette figure bien connue des arcanes des négociations climatiques, « c’est une trahison directe des communautés vulnérables du monde entier. La responsabilité historique des pays développés, qui ont contribué de la manière la plus significative à la crise climatique, ne peut être négligée », accuse-t-il lui aussi.

Ces discussions n’ont pour but que d’élaborer des recommandations en vue de la prochaine COP28 qui débute le 30 novembre à Dubaï (Émirats arabes unis). L’opérationnalisation du fonds ne peut être validée que dans le cadre de la COP, donc avec l’ensemble des États. Les parties sont convenues d’un cinquième et ultime round, à Abou Dhabi (capitale des EAU), les 3 et 4 novembre prochains

 

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