Qui aujourd’hui pour célébrer la pilule ? Il y a 50 ans, Lucien Neuwirth donnait son nom à la loi légalisant la contraception médicale efficace à 100 %. Une pilule contraceptive victime de préjugés à ses débuts et de nouveau contestée aujourd’hui.
LA LOI DU 27 DÉCEMBRE 1967 RELATIVE À LA RÉGULATION DES NAISSANCES, DITE «LOI NEUWIRTH»
L’accouchement s’est fait dans la douleur. Si la loi a fini par être adoptée le 19 décembre 1967, sa mise en application a pris du temps raconte le papa de la pilule, Lucien Neuwirthdans cette archive INA datant de 1972 (voir ci-dessus). « Nous nous sommes heurtés à un état d’esprit conservateur, rétrograde et à un manque de clairvoyance, de discernement et peut-être de générosité, explique le député gaulliste. On a placé les femmes, les hommes devant l’alternative accouchement ou avortement, sans leur expliquer qu’il y avait autre chose. » Il faudra attendre 1974, pour que les fameuses pilules soient remboursées par la sécurité sociale.
De l’émancipation à la contestation
Un moment vécu comme une libération par de nombreuses femmes des années 70, jusqu’alors condamnées à calculer leurs cycles ovulatoires de manière trop aléatoire pour pouvoir maitriser de manière autonome leur contraception. « Cette loi a permis une certaine libération sexuelle pour les femmes, rappelle Caroline Rheby, la co-présidente du planning familial. C’était aussi l’idée de pouvoir avoir des rapports sexuels en toute liberté sans avoir à l’esprit cette charge mentale de ne pas avoir d’enfant quand elles ne le souhaitaient pas. Les jeunes femmes qui n’ont pas connu cette époque ne peuvent pas évidement s’en rappeler, mais il fallait compter les jours, il y avait les méthodes Ogino ou Billings, la méthode du retrait aussi, mais rien de fiable à 99,9% comme pouvait l’être la pilule. On pouvait espérer espacer ses grossesses de deux ou trois mois, et puis on tombait enceinte sans l’avoir souhaité. »
Un demi-siècle plus tard, si elle reste le moyen contraceptif le plus utilisé, la pilule ne passe plus chez une partie des Françaises. Effets secondaires, migraine… Les anti-pilules pullulent chez les plus jeunes. Une désaffection relative, mais qui pourrait s’accentuer à l’avenir dans un contexte de défiance vis-à-vis des médicaments, comme pour les vaccins par exemple.
Comment expliquer cette désaffection ? Il y a d’abord la crise de 2012 autour des pilules de 3e et de 4e génération suspectes de risques cardio-vasculaires accrus. Plus généralement, de nombreuses jeunes femmes aujourd’hui n’ont plus envie d’assumer seules la contraception du couple, et d’avaler tous les jours « ce qui est considéré comme un perturbateur endocrinien », estime Sabrina Debusquat. L’auteure du best-seller J’arrête la pilule aux éditions Les Liens qui Libèrent (LLL), a mené l’enquête auprès de 4 000 femmes francophones. « La première cause d’arrêt de la pilule pour les femmes interrogées lors de mon sondage, c’est : « parce que j’en ai marre des effets secondaires bénins mais pénibles au quotidien », donc les fameuses migraines, baisse de libido, mycose, etc. Ce sont des choix que font les femmes pour leur corps, estime encore notre consœur animatrice à Radio France. Elles n’acceptent plus des effets secondaires alors qu’elles sont en bonne santé et qu’elles peuvent faire autrement que prendre des hormones. »
Vers la pilule pour homme ?
Les effets secondaires à la pilule ont toujours existé, ils étaient même plus prononcés pour les premières générations du médicament. Sauf que dans les années 70, les femmes les minoraient, tellement la liberté que représentait l’arrivée de la contraception efficace était importante. L’autre raison de cette désaffection relative, comme l’explique Nathalie Bajos tient dans « l’effet générationnel » et l’évolution des mentalités par rapport au modèle contraceptif mis en place au lendemain de la loi Neuwirth. « Avec la loi de 1962, le modèle c’était : le préservatif en début de vie sexuelle, la pilule quand on a une vie sexuelle stable et le stérilet quand on a eu deux enfants », raconte la directrice de recherche à l’Inserm et co-auteure de l’ouvrage La Sexualité en France publié aux éditions La Découverte. D‘où ce paradoxe aujourd’hui « entre une vie affective et sexuelle qui s’est profondément modifiée grâce à la contraception, grâce à l’essor des scolarités féminines et grâce au travail salarié des femmes. Et dans le même temps, un modèle contraceptif qui n’a pas beaucoup bougé », poursuit Nathalie Bajos.
Pas de raison que ce soit toujours les mêmes qui avalent la pilule. Les femmes souhaitent aujourd’hui partager la contraception avec leur partenaire. « Il existe des injections de testostérone, souligne Sabrina Debusquat, une sorte de pilule pour homme si vous voulez. Des chercheurs ont également développé le vasalgel dans les années 80 : on place un gel à l’endroit où les spermatozoïdes passent, et quand l’homme veut faire des enfants, on lui retire le gèle ». Réversible ou non, la stérilisation reste un tabou. « Il faut surtout écouter les femmes,poursuit Caroline Rheby. Pour certaines, la pilule convient, pour d’autres les effets secondaires sont trop importants. En France, on a tendance à rester sur le tout pilule, alors qu’on dispose d’une quinzaine de méthodes alternatives. »
« Il faut impliquer davantage les hommes et diversifier les méthodes contraceptives, estime de son côté Nathalie Bajos. Mais il faut également songer à des modes d’accès à la contraception qui ne passent plus uniquement par les médecins. Depuis quelque temps, les sages-femmes peuvent prescrire des contraceptifs, pourquoi pas les infirmiers et les infirmières demain. » L’essentiel étant que la pilule demeure un droit remboursé par la sécurité sociale.